La France, soucieuse de préserver ses relations avec l’Arabie saoudite, se montre d’une extrême prudence dans l’affaire Jamal Khashoggi, jugeant prématuré de tirer des conclusions et tardant à annoncer des sanctions.
L’enquête sur le meurtre de l’éditorialiste saoudien, critique du royaume, tourne depuis le début autour d’une question brûlante : dans quelle mesure le puissant prince héritier Mohammed ben Salmane (dit « MBS ») est-il impliqué ?
Pour l’instant, la France se borne à dire que « toute la vérité » doit être établie sur « les circonstances et les responsables » et qu’aujourd’hui « le compte n’y est pas ».
Contrairement aux Etats-Unis et à l’Allemagne, elle n’a encore pris aucune sanction contre la vingtaine de suspects soupçonnés d’être impliqués dans le meurtre.
Le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a certes promis lundi des sanctions « très rapidement » mais aussi souligné que la France devait encore « se faire une opinion ».
« La position, c’est de dire +attendons les résultats de l’enquête+. Or manifestement l’enquête va être diligentée par les Saoudiens eux-mêmes. Il est clair qu’elle n’impliquera pas MBS », considère Denis Bauchard, un ancien diplomate spécialiste du Moyen-Orient à l’Institut français des relations internationales (Ifri).
– Un « pays stratégique » –
Prenant le contrepied de la Turquie, qui joue aussi sa propre partition dans cette affaire, la France a estimé le 15 novembre que l’enquête saoudienne allait « dans le bon sens » avec l’annonce du renvoi de suspects devant la justice.
Le procureur général saoudien a alors inculpé 11 personnes et requis la peine de mort contre cinq d’entre elles, mais totalement dédouané le prince héritier.
Le président Emmanuel Macron a refusé d’emboîter le pas à la chancelière allemande Angela Merkel, qui a décrété un embargo sur les ventes d’armes à l’Arabie tant que les dessous du meurtre ne seraient pas éclaircis, allant même jusqu’à la taxer de « démagogie » avant de convenir avec elle d’une plus grande « coordination sur le sujet ».
Le dirigeant français a alors rappelé l’importance de l’alliance avec l’Arabie saoudite pour la France et les autres pays occidentaux, qu’il s’agisse d’équilibre régional face à l’Iran, de coopération militaire ou de fourniture de pétrole.
« L’Arabie saoudite est un pays stratégique dans la géopolitique mondiale (…) Beaucoup s’interrogent sur la montée du prix du pétrole. Qu’ils s’interrogent aussi sur les conséquences qu’ils promeuvent » en menaçant Ryad, relevait le chef de l’Etat français fin octobre.
Pour ces mêmes raisons, le président américain Donald Trump a refusé mardi de remettre en question la relation « inébranlable » entre Washington et Ryad, même s’il n’a pas exclu une implication de MBS.
– Arrêter « les frais » au Yémen –
« Paradoxalement on n’a pas beaucoup de contrats importants en cours, sauf peut-être Total, mais on ne veut pas insulter l’avenir », explique Denis Bauchard à l’AFP, notant que la France est « plutôt marginalisée » depuis l’arrivée de MBS au pouvoir.
Un des hauts responsables limogés à la suite de cette affaire, le général Ahmed al-Assiri, numéro deux du Renseignement saoudien, avait en outre ses entrées en France, où il a étudié à la prestigieuse école militaire de Saint-Cyr.
Comme ses alliés occidentaux, la France fait en revanche désormais pression pour des pourparlers de paix au Yémen, où MBS a embourbé son pays dans une guerre sanglante face aux rebelles houthis soutenus par l’Iran.
« Il n’y aura pas de vainqueur dans cette guerre. Il faut arrêter les frais ! » martèle Jean-Yves Le Drian, qui hausse le ton sur ce sujet depuis l’affaire Khashoggi.
Depuis des mois, les organisations humanitaires internationales demandent à la France de cesser ses ventes d’armes à l’Arabie et aux Emirats arabes unis, soupçonnés de crimes de guerre au Yémen.