Comme si le temps s’était figé pendant 30 ans. En 1995, Mathieu Kassovitz a sorti son film culte en noir et blanc, « la Haine », décrivant la dure réalité des banlieues françaises.
Trois décennies plus tard, le réalisateur français a adapté son film à la scène dans un spectacle au titre évocateur : « La haine, jusqu’ici rien n’a changé ».
Produit par le franco-algérien Farid Benlagha, le spectacle a été bien accueilli par la critique.
Les représentations ont commencé durant ce mois d’octobre 2024 à la salle de spectacle parisienne La scène musicale. Une tournée dans toute la France est prévue.
La critique est élogieuse comme elle fut pour le film primé par le César du meilleur film en 1995.
La vie en banlieue de Paris et les face-à-face avec les forces de l’ordre sont reproduits sur scène sur fond de chorégraphies et de genres musicaux variés, rythmes maghrébins, hip-hop, électronique, symphonique et évidemment l’inévitable rap, à l’époque balbutiant, aujourd’hui ultra populaire.
Les changements apportés sont dictés par la nature de l’œuvre, qui passe du film cinématographique au spectacle sur scène, et par l’évolution technologique qui a introduit des éléments nouveaux dans la vie des gens qu’on ne peut ignorer dans un scénario censé se dérouler en 2024.
Exemple, il n’y avait pas à l’époque le téléphone portable aujourd’hui omniprésent. L’intelligence artificielle est une autre nouveauté, de même que quelques noms qui dominent aujourd’hui la vie publique et qui n’étaient pas encore nés à la sortie du film, comme Jordan Bardella, Kylian Mbappé ou Aya Nakamura.
Côté artistique, Kassovitz a innové en introduisant un tapis roulant sur scène et autres effets 3D.
En trente ans, seuls les décors ont changé en France. Pour le reste, dans le fond, rien n’a véritablement bougé. C’est le message politique qu’a voulu faire passer le réalisateur qui n’a pas eu à trop revisiter son scénario. La vie en banlieues françaises est un éternel recommencement.
« La haine, jusqu’ici rien n’a changé », ou le temps figé des banlieues françaises
En 1995, le scénario du film tournait autour d’une émeute qui a suivi une bavure policière. Passé à tabac par des agents de l’ordre, un jeune s’est retrouvé entre la vie et la mort.
Ses copains ont déclenché une émeute pendant laquelle un policier perdra son pistolet, un colt Smith & Wesson…
Au cœur de tout cela, les pérégrinations de trois copains d’une cité des Yvelines, Saïd, Vinz et Hubert.
Entre le film et le spectacle de Mathieu Kassovitz, des émeutes similaires, il y en a eu plusieurs. Les dernières ont date sont celles déclenchées à Paris et dans plusieurs villes françaises après le meurtre du jeune Nahel Merzouk par un policier au cours d’un contrôle routier en juin 2023.
Trois décennies au cours desquelles les politiques ont disserté sur l’intégration, proposé des solutions et promis d’en finir avec la marginalisation des quartiers pauvres.
Rien que par son titre, le spectacle vient rappeler que “jusqu’ici, rien n’a changé”. Une autre manière de faire un clin d’œil au présent et de signifier à tous que rien n’a été fait.
L’autre message de l’œuvre est que la haine, la violence et l’exclusion sont des maux qui transcendent les époques, les pays et même les continents.
En ouverture du spectacle, le réalisateur a introduit un générique en noir et blanc montrant des images de violences policières et des mouvements qu’elles ont déclenchées en France et aux États-Unis.
George Floyd, le mouvement Black Lives Matter, justice pour Adama ou encore les émeutes qui ont suivi la mort de Nahel y sont représentés.
Autre clin d’oeil au présent, une femme voilée s’est ajoutée aux personnages principaux. Le spectacle se termine sur cette sentence profonde qui a fait se lever le public lors des premières représentations : “On n’ouvre pas la porte du vivre-ensemble avec une clé d’étranglement.”
Les acteurs aussi ont eu leur part d’éloges. Alexander Ferrario (Vinz), Samy Belkessa Saïd et le rappeur Alivar (Hubert) ont été unanimement salués pour avoir réussi le pari de remplacer le trio de choc du film de 1995, Vincent Cassel, Saïd Taghmaoui et Hubert Koundé.