Politique

La justice algérienne ne doit pas être utilisée à des fins populistes

L’ex-Premier ministre Ahmed Ouyahia et l’actuel ministre des finances Mohamed Loukal ont été convoqués, samedi 20 avril, par la justice dans le cadre d’une enquête sur « des affaires de dilapidation des deniers publics et de privilèges indus ».

L’annonce de la convocation de l’ex-Premier ministre en particulier a eu un écho considérable au sein de l’opinion publique algérienne, tant Ahmed Ouyahia a réussi à cristalliser les rancœurs d’un peuple qui a vu et continue de voir inextricablement en lui la manifestation physique du système décadent.

Ouyahia était là avant Bouteflika, et la prophétie prédisait qu’il serait là bien après. Sa chute représenterait sans aucun doute une catharsis salutaire pour le peuple, qui cherche passionnément à ce que ses efforts ces deux derniers mois aboutissent à un changement concret et radical en Algérie.

Cette réalité, le pouvoir ne l’ignore pas. En se délestant d’Ahmed Ouyahia et en le livrant à la vindicte, le pouvoir c’est-à-dire l’armée espère ainsi rassasier les revendications d’un peuple affamé de justice.

Sauf qu’une justice instrumentalisée n’est pas vraiment une justice, et c’est exactement ce que le chef d’état-major, le général de corps d’armée Ahmed Gaïd-Salah, a fait le 16 avril dernier lorsqu’il a réitéré son appel à la justice pour accélérer les enquêtes sur la corruption et la dilapidation. Les fonctions qu’occupe Gaïd-Salah ne lui accordent aucune prérogative pour donner une quelconque directive à la justice, organe supposé être indépendant. Et pourtant, la justice semble s’être promptement exécutée et les convocations ont débuté. Djamel Ould Abbes, Saïd Barkat, Mohamed Loukal, et le plus gros poisson pour l’heure, Ahmed Ouyahia.

Une vraie justice est une justice transparente, indépendante, impartiale, neutre, objective, égale devant tous, imperturbable face au pouvoir comme face aux vindictes populaires. Une vraie justice ne peut pas servir d’excuse pour effectuer une périodique opération de délestage des éléments les plus honnis par le peuple pour permettre au pouvoir dans son ensemble de pérenniser son règne.

C’est pour cette raison que, aussi exaltant cela puisse être pour le peuple de voir certaines personnalités répondre de leurs agissements suspects (il est présumé innocent jusqu’à preuve du contraire), l’épisode qui se dessine en ce moment laisse un goût amer.

Dans l’état actuel des choses, l’ensemble des procédures judiciaires lancées pour « lutter contre la corruption » est recouvert par un voile de suspicion et de cynisme. Ces procédures ne contribuent en rien à répondre à la principale revendication du peuple, à savoir l’émergence d’un État de droit en Algérie, au contraire, et il est très simple de s’en convaincre. Il suffit de voir le nombre de dossiers révélés par la presse impliquant d’importantes personnalités ou leurs enfants, notamment des généraux qui ont une grande responsabilité dans la décennie noire, qui continuent à œuvrer en toute sérénité sans être dans le viseur de la justice.

S’il faut garder en tête un seul exemple de la justice qui demeure sourde en Algérie, il suffit de se rendre compte qu’aucune enquête n’a pour l’heure été ouverte à Annaba, considérée comme fief d’un général de corps d’armée et de ses proches, qui ont la mainmise sur nombre d’activités lucratives. L’Algérie amorcera le vrai changement lorsque la justice pourra en toute indépendance ouvrir en toute transparence ce genre de dossiers, encore jugés tabous.

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