Société

La Kabylie panse ses blessures : « Un décor de Hiroshima »

Depuis cinq jours, l’Algérie ne parle que de ça : le meurtre dans des conditions horribles du jeune Djamel Bensmaïl à Larbaa Nath Irathen (Tizi-Ouzou) par une foule en furie.

Pris pour un pyromane alors qu’il était venu de Miliana pour aider les populations locales dans la lutte contre les incendies, il a été mis à mort sur la place publique.

Lorsque le drame s’est produit, mercredi 11 août, la région était embrasée depuis trois jours par des incendies d’une ampleur sans précédent, ravageant villages, vergers, étables et forêts.

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La majorité de la centaine de victimes déplorées en Kabylie ont péri dans les villages de Larbaa Nath Irathen. La mort de Djamel ajoute au malheur des habitants de la région qui ont du mal à croire que tout cela est arrivé.

Le double crime les bouleverse profondément. Le meurtre du jeune bénévole de Miliana et la mise à feu des villages avec l’intention de causer le maximum de dégâts, comme l’ont affirmé unanimement de hauts responsables de l’Etat.

Deux questions centrales taraudent les esprits dans toute la région : qui a désigné Djamel à la vindicte populaire et qui peut en vouloir à la Kabylie au point de mettre le feu à des villages densément habités, en pleine canicule ? En attendant des réponses à ces questions, la population s’occupe de son malheur et panse ses blessures.

Les incendies sont éteints grâce aux efforts de la population et de la protection civile épaulée par les militaires et les gardes-forestiers mais aussi parce que, dans certains endroits, il n’y a plus rien à brûler.

Rien que dans la daïra de Larbaa Nath Irathen, les incendies se sont étalés sur une zone densément peuplée, de 20 à 30 kilomètres linéaires sans discontinuer.

D’Irdjen à Aït Agouacha, il n’y a presque pas de village du versant ouest de la région qui n’a pas été touché par le feu. Certains ont enregistré des morts parmi les habitants.

Ikhlidjen, non loin du lieu où 25 militaires ont péri, a enterré avant-hier 19 victimes du feu qui a encerclé le village de toutes parts mardi 10 août.

Parmi elles, un bébé de quelques mois, deux adolescentes retrouvées calcinées et agrippées à leur mère, morte elle aussi. Un enfant de 5 ans est recueilli par les habitants survivants, étant l’unique rescapé de sa famille.

Des disparus n’ont pas encore été retrouvés. Certains pourraient se trouver à l’hôpital des grands brûlés de Douéra (Alger) où les personnes gravement blessées ont été acheminées. D’autres ne seront peut-être jamais retrouvés, tant il sera difficile de distinguer leurs restes dans les amas de cendres.

« Un décor de Hiroshima »

Toute la zone ressemble à un champ de guerre. « Cela me rappelle les images en noir en blanc de Hiroshima », décrit un habitant.

Ceux qui ont échappé au pire doivent maintenant affronter la dure réalité. Beaucoup ont perdu leurs maisons. Ceux qui ont été évacués vers le chef-lieu de wilaya et les localités limitrophes non touchées, comme Aït Oumalou et Tizi Rached, sont retournés chez eux, nous dit-on.

La vie doit bien continuer. Les villages les plus touchés sont toujours privés d’électricité et de gaz. Beaucoup de lignes de haute tension ont été endommagées et il faudra sans doute patienter pour que le réseau soit restauré. Le gaz a été coupé par mesure de précaution.

Des décisions ont été prises ce lundi par le président de la République pour l’indemnisation des sinistrés, mais beaucoup d’entre eux ont déjà commencé la restauration de ce que le feu a détruit, dans le sillage du même élan de solidarité qu’on a vu au cours des incendies.

La vie doit bien continuer mais tout le monde sait qu’elle ne sera plus comme avant. Du moins pas avant longtemps. La région a perdu des dizaines de ses enfants et beaucoup de ceux qui ont échappé aux flammes garderont des traumatismes indélébiles.

Des enfants ont vu des corps en flammes. Parfois ce sont leurs parents, leurs frères ou sœurs. La région a aussi perdu la beauté de ses forêts et maquis et les moyens de subsistance de nombreuses familles : oliviers, ruches, poulaillers, écuries, têtes de bétail, véhicules…

Il n’y a pas de doute que tout cela reviendra un jour, que la région se relèvera. Elle a connu des épreuves bien plus dures, comme sa mise à feu dans les années 1850 (déjà !) par les troupes du maréchal Randon. Ce n’était qu’à ce prix que la dernière place de résistance à l’occupation française fut vaincue en 1857. Vaincue, mais pas morte.

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