La Ligue des États arabes est aujourd’hui à la croisée des chemins. Critiquée pour son attitude molle devant le drame de Gaza, l’organisation, qui est basée au Caire, a tenté de sauver la face, jeudi 17 mai, en condamnant la décision du président américain Donald Trump de transférer l’ambassade américaine en Israël à Jérusalem.
Son président, l’égyptien Ahmed Abou Gheït a, du bout des lèvres, demandé « une enquête internationale sur les crimes de l’armée israélienne dans la bande de Ghaza », lors d’une réunion extraordinaire de la ligue, à l’initiative de l’Arabie Saoudite.
La Ligue a attendu que la procédure de transfert de l’ambassade se fasse devant toutes les caméras du monde avec la fille de Trump en « maîtresse cérémonie » pour réagir et qualifier la décision de Washington d’irresponsable « et de nature de provoquer une escalade de la tension et de la violence dans la région ».
Mais, la Ligue n’a rien décidé de concret : pas de campagne internationale pour contrer la décision américaine de reconnaître Jérusalem comme « capitale d’Israël », ni d’action diplomatique forte contre Israël après la tuerie de Gaza (61 morts).
Devenue ouvertement hégémonique, l’Arabie saoudite cherche à faire aligner la Ligue arabe sur ses choix diplomatiques notamment contre l’Iran. Elle s’emploie donc à limiter davantage son action tout en maintenant la vitrine faite de « condamnations » à la pelle avec tous les mots forts qu’il faut, mais sans plus.
Rien pour troubler l’ordre des choses ni pour remettre en cause des décisions stratégiques. La ligue arabe est-elle représentative réellement ? Exprime-t-elle la volonté de tous ses membres ? Ou est-elle devenue une nouvelle annexe du ministère saoudien des Affaires étrangères ? Le travail multilatérale arabe est miné par les divisions et les alliances, parfois contre nature, rendant impossible toute action concertée même à long terme entre pays du Maghreb et du Machreq.
| LIRE AUSSI : Gaza : le chef de la Ligue arabe condamne les « massacres » d’Israël
Pour Alger, la Ligue arabe doit revoir sa méthode de travail
L’Algérie, qui ne remet pas encore en cause sa présence au sein de la Ligue arabe, table de sur la réforme profonde de l’organisation. Avant le 29e Sommet arabe de Dhahran (Arabie Saoudite), le 15 avril dernier, Abdelkader Messahel, ministre des Affaires étrangères, a déclaré, dans une interview à un journal saoudien, que la Ligue arabe devait « revoir » sa méthode de travail.
« Cela ne peut se réaliser qu’à travers une réforme de fond de tous les mécanismes de son fonctionnement et de sa gestion, ainsi que son appréhension des questions arabes », a-t-il soutenu.
Messahel a rappelé que l’Algérie a déjà fait des propositions pour rendre la Ligue « plus efficace » aux fins de « trouver des solutions arabes aux différends et aux crises qui secouent la nation afin qu’aucune solution ne soit imposée de l’extérieur ».
Mais le duo Ryad-Le Caire refuse tout débat sur la réforme de l’organisation panarabe à l’heure actuelle. Créer un courant favorable à la réforme de la Ligue est une entreprise compliquée pour l’Algérie qui, officiellement, se dit attachée « à l’unité arabe » et qui refuse les ingérences extérieures.
Une position de principe que ne partagent nécessairement les autres pays membres de la Ligue arabe. D’où la divergence, avec l’Algérie notamment, sur les dossiers du Yémen, de la Syrie et de la Libye.
Lors du sommet de Dhahran, la Ligue arabe a accusé l’Iran de mener « une politique expansionniste » au Moyen Orient et d’appuyer les rebelles Houthis au Yémen. Ce n’est pas forcément le point de vue de l’Algérie. La position à prendre par rapport à l’Iran va creuser davantage les différends dans la région arabe et désactiver la Ligue arabe à terme.
| LIRE AUSSI : Louisa Hanoune réclame le gel de l’adhésion de l’Algérie à la Ligue arabe
L’OCI pour compenser la faillite de la Ligue arabe
Ankara, qui n’est plus sur la même longueur d’ondes que Ryad, cherche à relancer l’Organisation de la coopération islamique (OCI). Une organisation multilatérale plus vaste et moins affectée par les divisions arabes.
Vendredi 18 mai, un sommet extraordinaire de l’OCI s’est tenu à Ankara, en présence de l’Algérie mais également du Venezuela, en tant que pays invité. « En tant que pays islamiques, nous n’abandonnerons jamais l’idée d’une Palestine souveraine et indépendante, avec Jérusalem pour capitale », a déclaré Recep Tayyip Erdogan, président turc et président en exercice de l’OCI.
« La paix ne peut être rétablie dans notre région et à Jérusalem que grâce aux efforts des personnes justes et honnêtes issues de toutes nations croyances et milieux», a-t-il ajouté.
Le sommet a réclamé une protection internationale du peuple palestinien, « notamment par l’envoi d’une force de maintien de la paix » et la constitution «dans les plus brefs délais » d’une commission d’enquête internationale indépendante « afin de déterminer les responsabilités pénales des autorités israéliennes et de rendre justice aux victimes palestiniennes ».
Les États-membres de l’OCI se sont engagés également à prendre des mesures politiques et économiques « à l’encontre des pays ayant reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël ».
Malgré le fait que la Turquie entretienne des relations diplomatiques avec Israël (l’ambassadeur a été rappelé après la tuerie de Gaza), l’OCI est allé donc plus loin que la Ligue arabe.
Curieusement le sommet d’Ankara a été marqué par l’absence du président palestinien Mahmoud Abbas. L’Arabie saoudite et l’Égypte étaient représentés par leurs ministres des Affaires étrangères alors que l’Iran était représenté par son président.
Les arabes se divisent, les européens s’unissent
La mort de civils palestiniens, sous des balles israéliennes, et le transfert de la capitale américaine à Jérusalem n’ont pas assoupli les positions des uns et des autres dans la région arabe.
La colère populaire n’a également été d’aucun effet. En convergence stratégique avec les États Unis et Israël sur l’Iran, l’Arabie saoudite jouera de son influence pour faire éteindre certaines revendications politiques, à travers la Ligue arabe ou le Conseil de coopération du Golfe (CCG), devenu invisible ces derniers temps, et orienter les regards vers Téhéran, comme « unique cible ».
Mais, jusqu’à quand ? La Ligue arabe, en difficulté, doit recoller les morceaux et engager une vaste bataille pour reconquérir le peu crédibilité qu’elle avait auprès de l’opinion publique arabe.
Si les choses restent en l’état, cette bataille est perdue d’avance. Le CCG est, lui, gelé de facto en raison de la crise entre Doha et Ryad-Abu Dhabi, toujours à cause de l’Iran.
Au moment où les arabes se divisent sur l’Iran, les Européens cherchent à sauver leurs intérêts économiques en terres persanes, après la décision de Donald Trump, un adepte malgré lui de l’anti-diplomatie, de retirer son pays de l’accord sur le nucléaire iranien de 2015.
Les Européens, qui peinent à s’émanciper de l’influence américaine, se sont réunis, jeudi 17 avril à Sofia, pour sauver l’accord avec Téhéran et activer « la loi de blocage » de 1996 qui protège les entreprises du Vieux continent, traitant avec l’Iran, des « sanctions extraterritoriales » américaines.