Malgré l’interdiction de manifester, les militants prodémocratie sont descendus par milliers dans les rues de l’ex-colonie britannique. En fin de journée, la situation s’est tendue, la police usant de canons à eau et de gaz lacrymogènes en réponse aux jets de pierres des manifestants, dont certains ont enfoncé les barrières entourant le Parlement.
C’est en citant les échauffourées de dimanche dernier, parmi les plus graves depuis le début de la contestation en juin, que la police a justifié la décision d’interdire la manifestation prévue samedi. Les autorités ont cependant averti la population contre le risque de “graves perturbations”.
Pour contourner l’interdiction, des appels avaient été lancés à organiser sur l’île de Hong Kong des rassemblements religieux, qui ne nécessitent pas les mêmes autorisations. Et en début d’après-midi, plusieurs milliers de personnes étaient notamment réunies dans un stade du quartier de Wanchai (centre).
En prévision de heurts, la police avait érigé de nouvelles barrières autour du Bureau de liaison, qui regroupe les antennes du gouvernement central chinois dans l’ex-colonie britannique et avait également déployé des canons à eau.
Jets de pierres, barrières enfoncées, lacrymogènes et canons à eau
En fin de journée, la police hongkongaise a utilisé ces canons à eau et tiré des gaz lacrymogènes pour tenter de disperser les manifestants rassemblés près des bâtiments du gouvernement local, qui, armés de boucliers, jetaient des cocktails Molotov et des pierres sur les forces de l’ordre. Des contestataires radicaux ont même enfoncé les barrières autour du complexe abritant le Parlement et le siège de l’exécutif hongkongais, tandis que d’autres ont incendié une énorme barricade non loin du quartier général de la police dans le quartier de Wanchai (centre).
Auparavant, un groupe avait défilé près de la résidence de la cheffe de l’exécutif locale Carrie Lam, ancienne résidence du gouverneur britannique perchée sur les premières pentes de Victoria Peak.
Mme Lam concentre l’ire des manifestants pour ne pas avoir formellement retiré son projet de loi controversé sur les extraditions qui avait été en juin l’élément déclencheur de la mobilisation.
Un autre groupe s’est retrouvé dans le quartier très commerçant de Causeway Bay, bondé comme tous les samedis.
“Je suis prêt à faire face aux conséquences du fait de manifester”, a déclaré un manifestant se faisant appeler Jay. “Mais nous, Hongkongais, avons la liberté de réunion.”
1,7 million de manifestants le 18 août
Hong Kong traverse depuis près de trois mois sa pire crise depuis sa rétrocession à la Chine en 1997, avec des actions quasi-quotidiennes qui ont parfois dégénéré. Une situation inédite à laquelle les autorités de la région semi-autonome peinent à répondre.
Ce samedi marquait le cinquième anniversaire du refus par Pékin d’organiser des élections au suffrage universel à Hong Kong. Cette décision fut le déclencheur du “Mouvement des parapluies” de 2014, qui avait été marqué par 79 jours d’occupation du coeur financier et politique de la ville.
La manifestation était convoquée par le Front civil des droits de l’homme (FCDH), organisation non violente qui a été à l’origine des plus grands rassemblements de ces derniers mois. En particulier de celui du 18 août qui avait réuni 1,7 million de personnes selon les organisateurs, sans aucun débordement.
En plus de l’interdiction de manifester, la mouvance prodémocratie était samedi sous le choc du coup de filet de la veille, dans lequel cinq militants de premiers plans et trois députés ont été interpellés.
Tactiques « sorties des manuels chinois »
Parmi eux, deux représentants de premier plan du “Mouvement des parapluies”, Joshua Wong et Agnes Chow, âgés de 22 ans, ont été arrêtés vendredi à l’aube, et inculpés ensuite, notamment pour “incitation à participer à un rassemblement non autorisé”. Ils ont été ensuite libérés sous caution.
“Nous poursuivrons le combat”, a promis M. Wong tout en fustigeant “l’effet glaçant” des arrestations d’opposants.
En marge d’une réunion à Helsinki, la cheffe de la diplomatie européenne Federica Mogherini a jugé la situation “extrêmement préoccupante”.
A Washington, le président américain Donald Trump a lancé un appel au calme, exhortant Pékin à agir “avec humanité” à l’égard des contestataires.
Amnesty International a dénoncé des “tactiques visant à semer la peur tout droit sorties des manuels chinois”.
900 interpellations depuis juin
Le FCDH a retiré vendredi son appel à manifester pour ne pas jeter d’huile sur le feu. Mais de nombreux militants ont discuté en ligne de la façon de continuer à soutenir le mouvement sans risquer d’être arrêté.
Les manifestants, qui se sont illustrés depuis trois mois par une créativité surprenante quant à leurs modes d’action, ont suggéré tout un tas d’initiatives, comme le fait d’aller “faire du shopping en masse” ou de participer à des rassemblements religieux pour prier pour les “pécheurs hongkongais”.
Samedi matin, LIHKG, un forum prisé des manifestants, a annoncé sur Twitter que son application avait été la cible de “la pire attaque qu’elle ait jamais essuyée”.
Un haut responsable de la police a annoncé que ses effectifs demeuraient mobilisés dans l’éventualité de nouveaux affrontements avec la frange radicale du mouvement.
Un autre militant, Andy Chan, fondateur d’une minuscule formation indépendantiste interdite par les autorités, a également été arrêté, de même que deux autres contestataires connus, Rick Hui et Althea Suen.
Et pour la première fois depuis le début en juin de la mobilisation, trois députés ont aussi été arrêtés vendredi: Cheng Chung-tai, Au Nok-hin et Jeremy Tam.
Plus de 900 personnes ont au total été interpellées depuis juin. La police a cependant nié vouloir saper les manifestations du week-end. “C’est totalement faux”, a déclaré aux journalistes son porte-parole, John Tse.