Des comptes toujours dans le rouge, des droits sur le foot menacés et maintenant des soupçons de corruption: le groupe qatarien beIN Sports vit une année difficile en France, cinq ans après avoir bouleversé le paysage audiovisuel en raflant la diffusion de la Ligue 1.
Depuis le lancement en 2012 du bouquet payant de chaînes sportives, son modèle économique consiste à attirer le maximum de téléspectateurs grâce à des compétitions prestigieuses, diffusées en exclusivité. Sa maison-mère Al Jazeera avait réalisé un grand coup en partageant avec Canal+ la diffusion de la Ligue 1 de football, avant de mettre la main sur la prestigieuse Ligue des champions et l’Europa League.
Mais beIN a perdu ces deux compétitions européennes pour la période 2018-2021, les droits ayant été obtenus en mai par Altice, la maison-mère de SFR. Le groupe de télécoms de Patrick Drahi multiplie les acquisitions de droits sportifs après avoir acheté les droits de la Premier League anglaise.
En France, beIN est le diffuseur de la L1 jusqu’en 2020, mais plusieurs concurrents seraient sur les rangs pour les reprendre, venus de la télévision (Canal+, Eurosport), des télécoms (Orange et SFR) mais aussi de l’internet, selon la Ligue de football professionnel.
La mise aux enchères de ces droits, dont la date est inconnue, “pourrait aboutir à une forme de partage” entre plusieurs opérateurs, selon Philippe Bailly du cabinet NPA Conseil, et atteindre entre 1,2 et 1,5 milliard d’euros si l’on se base sur les derniers droits TV attribués en Europe.
– Manque de rentabilité –
Le groupe qatarien espère évidemment les conserver, mais pas à n’importe quel prix. “Nous devons aussi être rationnels dans notre manière de participer aux enchères”, indiquait en septembre son président Yousef al-Obaidly dans le Figaro.
beIN France conserve de nombreux autres droits exclusifs: des ligues nationales (Bundesliga, Serie A, Liga…), les principaux tournois de tennis, la Coupe d’Europe et le Challenge européen de rugby, ou les matches de NBA. Il partage aussi avec TF1 les Coupes du monde de football 2018 (en Russie) et 2022 (au Qatar).
Mais quid de son manque de rentabilité? Après cinq ans d’activité en France et l’achat de nombreux droits TV très onéreux, le groupe cumule des pertes de 1,2 milliard d’euros.
Il débourse notamment 186,5 millions d’euros par an pour diffuser la Ligue 1, dont il est également le distributeur exclusif à l’international via une soixantaine de chaînes. Les tarifs qu’il propose à ses 3,5 millions d’abonnés revendiqués, autour de 15 euros par mois, restent très attractifs et ne permettent pas de rembourser ces droits, malgré des hausses récentes.
beIN serait cependant “très près d’atteindre l’équilibre financier”, assurait en septembre Yousef al-Obaidly.
– Enquêtes en cours –
En 2016, l’Autorité de la concurrence avait refusé un accord de distribution exclusive passé par BeIN avec son concurrent Canal+ et qui lui aurait permis de trouver une nouvelle source de financement. Mais, le Qatar est depuis venu au secours de beIN Sports en injectant 600 millions d’euros à son capital.
Pour Philippe Bailly, c’est un “signal” que la direction de beIN va garder sa stratégie: “Ils avaient certainement la possibilité de se désengager, et ne l’ont pas fait”, souligne l’expert.
A ce contexte économique tendu, s’ajoute désormais la mise en cause par la justice suisse, la semaine dernière, du patron de beIN Media Group (et par ailleurs du Paris SG) Nasser Al-Khelaïfi, pour l’acquisition délictueuse de droits médias auprès de la Fifa qui a ouvert sa propre enquête.
Nasser Al-Khelaïfi est accusé d’avoir rémunéré l’ex-N.2 de la fédération, le Français Jérôme Valcke, pour obtenir les droits des Coupes du monde 2026 et 2030 pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. “Les allégations de corruption sont totalement infondées, car nous n’avions pas de concurrence pour l’attribution de ces droits”, a affirmé à l’AFP le porte-parole de beIN au Qatar.
Dans ce cadre, les locaux parisiens de la chaîne, qu’elle partage avec le PSG, ont fait l’objet d’une perquisition jeudi par le Parquet national financier. Le club est pour sa part également dans le collimateur de l’UEFA après les transferts records de l’été de Neymar et Mbappé.