Proclamé officiellement président de la République lundi, Abdelmadjid Tebboune devra prêter serment ce jeudi pour entrer officiellement en fonction.
Élu avec près de cinq millions de voix sur les 24 millions d’électeurs que compte le fichier électoral, l’ancien Premier ministre hérite d’un pays en grave crise, et va entamer son « règne » plombé par de sérieux handicaps.
Au manque de légitimité populaire, comparable à celle de Bouteflika en 1999, mal élu et qui a dû recourir à la concorde civile pour réduire le déficit, Abdelmadjid Tebboune devrait faire face à un « hirak » qui l’a déjà désavoué dès l’annonce des résultats à travers des mobilisations massives à travers de nombreuses villes du pays, particulièrement à Alger. Ce rejet a été renouvelé ce mardi par les étudiants à travers des marches dans plusieurs wilayas.
Il aura aussi à mettre sur les rails un programme, décliné en « 54 » engagements durant sa campagne, non seulement dans un contexte d’instabilité politique, mais aussi dans une situation économique d’une ampleur considérable.
Conscient que la crise est d’abord profondément politique, Abdelmadjid Tebboune a tôt fait de promettre durant la campagne de s’engager à satisfaire les « aspirations du hirak », dont les revendications ont été jugées « légitimes » et la dynamique qualifiée de « bénédiction ».
Pour sa première conférence vendredi, il a réitéré cet engagement. « Je m’adresse directement au Hirak, que j’ai, à maintes reprises, qualifié de bénédiction, pour lui tendre la main afin d’amorcer un dialogue sérieux au service de l’Algérie, et l’Algérie seule ».
Cet appel, diversement apprécié par les acteurs politiques, suscite d’ores et déjà la prudence. Si, sur le principe, nul ne rejette l’idée du dialogue, les conditions de son déroulement, son format, son contenu et les acteurs appelés à y prendre part éventuellement suscitent d’ores et déjà la polémique, comme on a pu le voir sur les réseaux sociaux et lors des marches.
Beaucoup redoutent en effet qu’il ne s’agisse, après l’expérience de l’Instance de Karim Younes, d’une énième manœuvre visant à ravaler la façade du pouvoir.
Parce que marqué politiquement comme un homme du sérail, Abdelmadjid Tebboune aura fort à faire pour, d’une part, apparaître comme animé d’une volonté de changer les choses et d’autre part, rétablir une confiance perdue.
C’est pourquoi, aux yeux des observateurs, ses intentions et ses capacités à répondre aux revendications du « hirak » seront mesurées à l’aune des décisions qu’il aura à prendre dans les prochains jours.
À commencer par la libération des détenus d’opinion, dont il évite de parler jusque-là, la libération du champ politique et médiatique et la levée des entraves sur les manifestations.
Mais des questions en suspens demeurent cependant : va-t-il dissoudre les chambres parlementaires issues de la fraude électorale et dominées essentiellement par des partis rejetés par la population ? Quelles mesures économiques pour relancer une machine en panne ? Quel gage peut-il donner sur son « autonomie » vis-à-vis de l’institution militaire ?
Mission « casse-cou », l’entreprise s’annonce laborieuse. C’est de sa volonté et de son pouvoir à répondre à certaines questions que dépendront les chances de faire avancer l’idée du dialogue. Faute de quoi, les fractures se creuseront et la situation se complexifiera davantage.
« Abdelmadjid Tebboune n’a pas le choix. Il doit avancer vers une forme de réconciliation nationale entre ceux qui ont voté, ceux qui ont refusé de voter et les abstentionnistes classiques. Sinon, la fracture entre ces groupes ne fera que s’agrandir. D’après ses discours de campagne, on le voit se situer dans la même démarche qu’Abdelaziz Bouteflika. Après avoir été mal élu en 1999, au lendemain de la décennie noire, l’ancien président avait tenté de s’émanciper de la tutelle de l’armée, et avait mis en œuvre la Concorde nationale, qui impliquait une forme de clémence pour ceux qui renonçaient à la violence. Le risque est que le mouvement interprète aujourd’hui cette main tendue comme une volonté de ravaler le système, en façade seulement », observait l’historien Benjamin Stora dans un entretien au JDD.
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