Le Maroc a décidé de normaliser ses relations diplomatiques avec Israël, en échange de la reconnaissance par les Etats-Unis de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, classé sur la liste de l’ONU des territoires non autonomes depuis 1963. Ces deux accords ont été annoncés jeudi 10 décembre par le président américain sortant Donald Trump.
En réalité, l’accord entre le Maroc et Israël ne constitue pas une surprise. Les deux pays entretiennent depuis 60 ans une relation de collaboration « étroite mais secrète » sur les questions militaires et de renseignement, les assassinats et la migration de juifs en Israël, rapportent plusieurs médias dont The New York Times.
Espionnage, armes et technologies
Israël a notamment aidé le Maroc à obtenir des armes et du matériel de collecte de renseignements et lui a appris à les utiliser, et l’a également aidé à assassiner un chef de l’opposition, indique le journal américain qui précise que de l’autre côté, le Maroc a aidé Israël à accueillir des juifs marocains, à monter une opération contre Oussama Ben Laden, et même à espionner d’autres pays arabes.
« Israël a toujours rendu des services énormes au royaume marocain, et le Maroc a également été présent quand Israël le demandait », affirme dans le même cadre Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (CERMAM) à Genève, cité par France Culture.
Pour illustrer ses propos, le politologue a rappelé ce qui s’est passé au sommet arabe à Casablanca au Maroc en 1965. « Il faut rappeler cette histoire de 1965, le fameux sommet arabe à Casablanca », a-t-il expliqué en affirmant que « les Israéliens ont demandé au roi Hassan II de lui transmettre les enregistrements de ce sommet. »
« Pour certains Israéliens, officiers militaires, c’est grâce à ces enregistrements faits à l’insu des dirigeants arabes qu’Israël a probablement réussi à anticiper la guerre en 1967 et à la gagner », a ajouté Hasni Abidi.
La relation israélo-marocaine trouve son origine en partie dans le grand nombre de juifs au Maroc avant 1948. Suite à la création de l’Etat israélien, beaucoup d’entre eux ont émigré et ont constitué l’une des plus importantes composantes de la population israélienne, indique le New York Times, précisant qu’environ un million d’Israéliens sont originaires du Maroc ou descendent de ceux qui étaient dans ce pays.
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Affaire de l’opposant marocain Mehdi Ben Barka
Lorsque le roi Hassan II a accédé au trône marocain en février 1961, Israël a mené avec succès une campagne pour développer des liens avec lui, rapporte le journal américain qui relate que des agents israéliens ont rencontré le chef de l’opposition marocain, Mehdi Ben Barka, qui demandait de l’aide pour renverser le roi. Au lieu de cela, les Israéliens ont informé Hassan II du complot qui se tramait.
La relation entre les deux parties établie, Hassan II a autorisé la migration de masse des juifs vers Israël et accepté également la mise en place d’une base du Mossad, le service de renseignements israélien, au Maroc.
En échange, Israël a fourni des armes au Maroc et leur a appris comment les utiliser. Israël a également fourni de la technologie de service et a aidé les services de renseignements marocains à mieux s’organiser, établissant une collaboration des deux services avec échanges de renseignements collectés par les espions de part et d’autre. Une coopération qui date désormais de plusieurs décennies, affirme le Times.
La mise sur écoute des dirigeants arabes à Casablanca en 1965 a notamment été décrite comme vitale dans la préparation israélienne à la guerre des Six Jours. « Ces enregistrements, qui étaient vraiment un succès extraordinaire du renseignement, ont établi notre sentiment, au plus haut sommet de l’armée, que nous gagnerons la guerre contre l’Égypte », a affirmé le général israélien Shlomo Gazit.
Peu de temps après, à la demande des services de renseignements marocains, le Mossad a localisé l’opposant marocain Ben Barka et a aidé à l’attirer à Paris. Sur place, les Marocains et leurs alliés Français l’ont kidnappé. Il a été torturé à mort et les agents du Mossad se sont débarrassés du corps, qui n’a jamais été retrouvé. Mehdi Ben Barka a disparu le 29 octobre 1965 en France.
Accords de Camp David
Une décennie plus tard, le roi Hassan II et son gouvernement ont joué le rôle d’intermédiaires entre Israël et l’Égypte, et le Maroc est devenu le lieu de réunions secrètes entre leurs fonctionnaires, avant les accords de Camp David de 1978 et la normalisation des relations entre l’Egypte et Israël. Israël a ensuite aidé à persuader les États-Unis de fournir une assistance militaire au Maroc.
« Des relations qui n’ont jamais cessé »
C’est cette collaboration étroite s’étalant sur plusieurs décennies qui a poussé le ministre des Affaires étrangères marocain, Nasser Bourita, à affirmer à l’annonce de la normalisation diplomatique entre Israël et le Maroc que les relations étaient « déjà normales » entre les deux pays, rapporte l’Orient-Le Jour.
« De notre point de vue, nous ne parlons pas de normalisation parce que les relations étaient déjà normales – nous parlons de rétablir les relations entre les deux pays comme elles l’étaient – car il y a toujours eu des relations. Elles n’ont jamais cessé », a affirmé Bourita dans un entretien accordé au premier quotidien israélien, Yediot Aharonot, cité par la même source.