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La presse algérienne face à la menace et à la précarité

L’arrestation puis la libération cette semaine du journaliste Said Boudour avec le lanceur d’alerte Noureddine Tounsi posent, encore une fois, la question de la liberté d’expression et celle de la liberté de la presse en Algérie.

Dans l’affaire dite de « la cocaïne » saisie à Oran, le fondateur du site Algérie Direct Adlène Melah, fils de l’ancien ministre Belkacem Melah, et le propriétaire du même site Khelaf Benhada, sont mis sous contrôle judiciaire par le magistrat instructeur qui a requalifié les faits après auditions.

Donc, comment expliquer que Saïd Boudour, connu aussi pour son combat pour les droits humains, soit mis aux arrêts par une dizaine d’hommes, transféré d’Oran à Alger et laissé derrière les barreaux pendant trois jours pour que finalement le juge, chargé du dossier, le considère comme un simple témoin dans l’affaire ? Quelle est donc cette loi qui permet aux services de sécurité de malmener un témoin ?

Il y a un décalage manifeste entre « les raisons » supposées de l’arrestation du journaliste et la qualification des faits. Saïd Boudour constituait-il une menace pour l’ordre public et pour la quiétude de la société pour être laissé en garde à vue pendant trois jours et soumis à interrogatoire ?

Selon l’agence APS, le journaliste a été interpellé parce qu’il aurait partagé l’article, objet de la poursuite pénale, sur sa page Facebook. Imaginons que 6000 internautes partagent le même article sur Facebook ou Twitter, seront-ils tous arrêtés, gardés à vue et jugés ? Partager un article est-il un crime ? Si oui, dans quel texte de loi ?

Le délit de presse dépénalisé ?

Dans cette affaire dite de la cocaïne, personne ne sait exactement qui a déposé plainte. Le procureur s’est-il autosaisi ? Le parquet d’Alger n’a rien communiqué sur l’affaire ouvrant la voie aux spéculations.

La justice reproche, visiblement, à Algérie Direct la publication d’un article sous le titre « Quand une saisie de cocaïne cache des enjeux « politiciens » et lutte de clans ».

L’article est accompagné d’un photomontage des portraits du président Abdelaziz Bouteflika, de son conseiller et frère Said Bouteflika et du général de corps d’armée Ahmed Gaid Salah.

L’auteur salue le travail fait par l’ANP dans cette affaire. Le procureur de la République a retenu les chefs d’inculpation « d’atteinte à corps constitué » et « publication d’éléments visant à porter atteinte à l’unité nationale ».

Pour rappel, la loi sur l’information de janvier 2012 a théoriquement supprimé la mise en détention des journalistes et a « dépénalisé » le délit de presse.

En réalité, le délit de presse est devenu, selon les juristes, un délit de droit commun soumis à des règles rigoureuses.

« La quasi-totalité des infractions de presse, y compris la diffamation, l’injure ou l’outrage, sont punis, non pas par le Code sur l’information, mais bel et bien par le Code pénal. Et ces infractions sont toutes passibles de peines de prison dont certaines à des peines de réclusion criminelle, à l’instar du crime de divulgation de secret-défense ou d’apologie d’un acte subversif. On est donc loin de la dépénalisation du délit de presse », a constaté l’avocat Mohamed Brahimi, dans une tribune.

Des médias électroniques sans cadre légal

L’affaire de la cocaïne et les poursuites contre les journalistes posent aussi la question du statut des médias électroniques, toujours sans cadre légal. Les professionnels regroupés au sein du Syndicat algériens des éditeurs de presse électronique (SAEP) n’ont pas cessé de réclamer l’application de la loi sur l’information numéro 12/05 du 12 janvier 2012 dans ses dispositions relatives à l’information en ligne.

Le SAEP, en cours de constitution, a demandé l’implication de ses membres dans l’élaboration des textes d’application de cette loi. « La pratique de l’édition électronique évolue rapidement et nécessite l’échange des législateurs et des régulateurs avec les professionnels pour éviter les impasses juridiques qui ont par ailleurs bloqué l’émergence des médias audiovisuels en Algérie », a écrit le SAEP dans un document rendu public le 2 mai 2018. Les journalistes des journaux en ligne n’ont toujours pas accès à la carte de presse nationale qui est pourtant un droit et souvent mis à l’écart dans les couvertures d’activités officielles.

Où est le Statut des journalistes ?

Selon Nacer Mehal, ancien ministre de la Communication, invité lundi 4 juin de TSA Direct, un statut des journalistes a été élaboré par son département en 2012.

Mais, ce texte demeure invisible pour les professionnels de la presse. Mehal a évoqué aussi l’absence des textes d’application des lois sur l’information et sur l’audiovisuel.

Des lois qui restent muettes six ans après leur promulgation faute de textes d’application. Cette situation laisse les nouvelles chaînes de télévision dans un statut de précarité avec une épée de Damoclès sur la tête.

Ces chaînes sont toujours considérées comme des chaînes étrangères « avec bureaux accrédités à Alger ». Qu’est-ce qui empêchent les pouvoirs publics de régulariser leur situation et de « rapatrier » la diffusion ?

L’existence de textes non appliqués commence à peser lourdement sur le paysage audiovisuel algérien, soumis à une forte concurrence par les chaînes arabes et européennes.

Les critiques émises ce ramadan 2018 sur certains programmes télés (caméras cachées notamment) sont restées sans lendemain en raison de l’inactivité de l’Autorité indépendante de régulation (ARAV), non dotée d’instruments de travail. Existe-t-il une réelle volonté politique de libérer les ondes ? Si elle existe, elle est toujours invisible sur le terrain.

Établir une relation de confiance

Les autorités ont réagi énergiquement à une vidéo enregistrée par une journaliste algérienne établie à Bruxelles critiquant le président Bouteflika. Les propos de Layla Haddad ont provoqué ce qui ressemble à une crise diplomatique entre l’Algérie et l’Union européenne.

Fallait-il donner toute cette ampleur à cette vidéo de 3 minutes ? Que serait-il passé si Layla Haddad s’était exprimée en Algérie ? Alger émet de mauvais signaux à l’adresse de ses partenaires étrangers en matière de liberté de la presse et de liberté d’opinion.

Déjà que le pays est souvent mal classé par les organisations internationales en matière de libertés et de droits, rajouter une couche serait évidemment nuisible à l’image que l’Algérie veut donner d’elle devant la communauté internationale et va à contre sens du discours officiel servi devant les partenaires extérieurs .

À l’ère numérique, il sera de plus en plus compliqué de contrôler ou de bloquer les médias, déjà fortement éprouvés par les effets néfastes de la crise économique.

L’idéal serait de mieux réguler le paysage médiatique national en établissant une relation de confiance entre professionnels des médias et pouvoirs publics. La répression et la censure ne servent à rien quelle que soit la forme que cela pourrait prendre. Et l’affaiblissement de la presse n’est pas dans l’intérêt du pays.

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