Jeudi 14 février, le ministre de l’Intérieur installait le nouveau directeur général de la police algérienne, nommé la veille. Dans son allocution, Nouredine Bedoui a parlé de la prochaine élection présidentielle et sa sécurisation.
Mise en ligne dans un premier temps, la très officielle APS retire la vidéo du discours d’installation le jour-même, constate le quotidien Liberté.
Car c’est presque un aveu que venait de faire le ministre : si le colonel Lehbiri a été prié de partir huit mois seulement après sa nomination, ce n’est peut-être pas pour son bilan, quand bien même l’ancien patron de la Protection civile a multiplié les maladresses et collectionné les désaveux durant son cours passage à la DGSN.
Ce n’est pas tant la sécurisation du scrutin qui empêche les stratèges du pouvoir de dormir que la gestion des manifestations de rue si la population décide de réagir pour exprimer son rejet de l’option du cinquième mandat. Le Premier ministre Ahmed Ouyahia a été plus que clair lorsque, le 2 de ce mois, la question avait été évoquée en conférence de presse. « Le gouvernement a démontré par le passé qu’il pouvait contenir la rue ».
Assurément, il ne fallait pas s’attendre à entendre de la bouche de M. Ouyahia que ceux qui contestent le cinquième mandat de Bouteflika seront les bienvenus dans les rues d’Alger et d’ailleurs. Pour moins que ça, les manifestations publiques sont interdites dans la capitale depuis presque deux décennies.
Le message menaçant du Premier ministre avait été capté par certains acteurs de l’opposition comme le signe d’une détermination à faire passer le cinquième mandat à tout prix, quitte à user de la matraque.
Louisa Hanoune par exemple s’est dite « terrifiée » par le scénario vers lequel on se dirige. « Ce ne sont pas de simples élections, c’est un rendez-vous avec notre destin. Nous sommes terrifiés. On ne sait pas ce qui va se passer d’ici là, quelle sera la réaction des citoyens. Notre crainte c’est qu’il y ait des provocations. Tous les citoyens se demandent ce qu’il va se passer. Le terrain des élections est très mouvant. Aujourd’hui il apparait que la majorité a une défiance vis-à-vis du vote. Mais si les avis changent et les citoyens investissent les bureaux de vote et tentent d’empêcher la fraude, qu’est-ce qui va se passer ? On sait que les prédateurs et l’oligarchie vont avoir recours à la violence et ils en ont les moyens. Et si une personnalité faisait comme Gaiado au Venezuela ? »
La secrétaire générale du Parti des travailleurs a posé la bonne question : quelle sera la réaction des citoyens ? Il faut dire qu’il s’agit là d’une donne que très peu de parties, y compris les observateurs et les médias, ont pris en compte lorsque l’éventualité de la candidature de Bouteflika faisait débat. On a spéculé sur l’avis de l’armée, des partenaires étrangers du pays, des différentes factions du système, sur le rôle de l’ancien DRS, mais presque jamais sur la réaction du peuple, pourtant source exclusive de la légitimité en vertu de la constitution.
L’erreur fut sans doute de déduire trop vite que si le peuple a laissé faire en 2014, il en fera de même en 2019. Or, les citoyens ont plus de raisons de ne pas accepter le cinquième mandat qu’ils n’en avaient pour s’opposer au quatrième. Le président est plus que jamais amoindri par la maladie, il est invisible et inaudible. Les rares images qu’on daigne montrer de lui sporadiquement sont très parlantes et même le mythe de ses réalisations s’est brisé sur la réalité dévoilée par la chute des prix du pétrole survenue juste après sa réélection il y a cinq ans.
Aussi, l’épouvantail de l’instabilité et du retour aux affres des années 1990 risque d’être inopérant puisque ceux qui pourraient se retrouver en première ligne dans la rue, sont des jeunes qui n’ont pas connu cette période antérieure à Bouteflika. Cela rappelle aussi que le président est au pouvoir depuis vingt ans, une longévité qui à elle seule pourrait bien lui valoir une petite contestation populaire.
Des mouvements sporadiques et circoncis certes, ont déjà commencé et d’Oran à Annaba des jeunes ont scandé tout au long de la semaine des slogans hostiles au cinquième mandat. L’imposante marche de ce samedi à Kherrata est peut-être le signe que le rejet est en train de faire tache d’huile, contrairement à 2014 où le mouvement Barakat n’avait pas réussi à mobiliser.
Jusqu’où ira la rue et quel traitement lui réservera le pouvoir ? C’est la grande inconnue. On sait juste que pour une réponse politique, c’est un peu trop tard avec l’officialisation de la candidature de Bouteflika.