Couverts de boue, une dizaine de réfugiés syriens dépassent un tracteur sans que le fermier ne leur accorde plus qu’un coup d’œil. A la frontière terrestre gréco-turque, les passages ont repris à plein depuis cet hiver.
“Un nouveau groupe vient d’arriver, il y a des enfants”: attablé au café de Pythio, un petit village proche du fleuve frontalier Evros, Yiannis Kiourtidis partage les dernières nouvelles, qu’il vient de recevoir par téléphone.
Avec l’aide d’un ami, cet ouvrier à la retraite, un temps émigré en Allemagne, remplit sa voiture de bouteilles d’eau et de biscuits, en route pour aider.
La scène rappelle celles qui se sont jouées en 2015 sur les îles grecques de l’est égéen, alors portes d’entrée en Europe de centaines de milliers d’exilés fuyant conflits et misère.
Mais de havres elles sont devenues des sortes de prisons depuis le pacte conclu entre la Turquie et l’UE en mars 2016 pour couper cette route migratoire. Les arrivants y sont confinés dans des camps surpeuplés dans l’attente, qui peut prendre des mois, de l’examen de leur demande d’asile et, en cas de rejet, de leur renvoi en Turquie.
Entretemps, les passages par la frontière terrestre, où l’accord UE-Ankara ne s’applique pas, ont repris comme par le passé, avant la ruée sur les îles.
Selon Elias Akidis, qui dirige le syndicat des officiers de police d’Orestiada, les exilés savent très bien ce qui les attend s’ils passent par la mer. “En plus, franchir l’Evros à cette époque, quand le fleuve est en décrue, est facile”, relève-t-il.
– ‘Vont-ils nous renvoyer?’ –
Cet hiver, “au moins huit personnes”, dont des enfants, se sont noyées en tentant de gagner la rive grecque, a recensé le Haut-Commissariat aux Réfugiés de l’ONU (HCR).
Pour l’Agence européenne des frontières Frontex, dont 26 officiers sont déployés dans la région, il est toutefois prématuré de tirer des conclusions. “Nous avons besoin de plus de temps pour savoir si les flux sont réellement en train de se déplacer”, relève une porte-parole, Izabella Cooper.
Nombre des arrivants sont des Kurdes d’Afrine, l’enclave dont les forces turques se sont emparés dans le nord-ouest de la Syrie en mars après des mois de combat.
De la route, M. Kiourtidis et son ami viennent de repérer dans un champ les réfugiés signalés, six adultes et cinq enfants. “Syrie, Syrie”, crie le meneur du groupe.
Les Grecs tendent bouteilles d’eau et biscuits aux enfants. Le meneur tente de se faire comprendre, le groupe veut rallier Thessalonique, la grande métropole du nord de la Grèce.
Mais, surgis d’une camionnette banalisée, deux policiers en civil débarquent, armés.
“Vont-ils nous renvoyer?”, s’inquiète Ayla, 25 ans, qui a fui Boukamal, dans l’est de la Syrie, avec son mari et leur fille de cinq ans.
Le policier les rassure, ils vont être pris en charge. A plusieurs reprises ces derniers mois, des défenseurs des droits de l’homme ont dénoncé des refoulements à cette frontière, une pratique illégale en regard du droit international, à laquelle le gouvernement a démenti recourir.
– Situation d’urgence selon le HCR –
“Qu’Allah soit loué!”, s’exclame Ayla. “Vous devez comprendre, nous avons perdu nos maisons, nos parents, tout”. Ils ont payé 1.000 USD (830 euros) chacun aux passeurs, affirme-t-elle.
Les arrivants doivent en principe être enregistrés dans le centre dédié près de la frontière, avant d’être répartis dans des camps dans le nord du pays. Ceux qui en ont les moyens tentent de se débrouiller seuls pour gagner Thessalonique ou Athènes.
Mais déjà, les places manquent. Le HCR a appelé la semaine dernière la Grèce à “améliorer d’urgence les conditions de réception et à renforcer les capacités d’accueil” dans la région.
Dans l’attente, “des centaines de personnes sont actuellement retenues dans des postes de police”, dans des conditions notamment sanitaires inadaptées, s’est ému le HCR.
Pour certains pourtant, cet accueil est un pis aller. Le cas du Somalien Ahmet, 27 ans, croisé avec son épouse et deux proches. “Nous cherchons la police, cela fait deux jours que nous sommes sur la route”, dit-il.