Encore une fois, la rue a pris le pas sur les politiques et semble montrer le chemin à suivre. Pacifiquement, les Algériens commencent à exprimer leur désir de changement à travers des manifestations et des rassemblements, dans un contexte où l’opposition peine à définir une stratégie pour contrer le pouvoir.
”La rue a pris une longueur d’avance sur nous”, reconnait un cadre dirigeant d’un parti d’opposition. ”Nous nous sommes aperçus que la rue, le peuple a pris une avance sur nous. Une longueur d’avance quant à la revendication d’un changement politique”, souligne notre interlocuteur. Le sociologue Nacer Djabi abonde dans le même sens : “La rue algérienne a été toujours en avance sur les politiques”.
Des manifestations citoyennes sont enregistrées depuis une dizaine de jours à travers plusieurs villes contre le 5e mandat. A l’Est du pays, ces manifestations ont été organisées dans le sillage des passages du candidat à la candidature Rachid Nekkaz. Mais elles semblent s’étendre à d’autres régions. Ce jeudi à Bakaro, dans la daira de Tichy, une marche pacifique a été organisée pour dire ”non” au 5e mandat de Bouteflika. ”Non au cinquième mandat, Oui au départ”, indique une banderole brandie par des jeunes.
Des appels à manifester
Plusieurs appels à manifester contre le cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika ont été lancés depuis quelques jours, de façon anonyme pour la plupart. Ces appels invitent les Algériens à exprimer pacifiquement leur rejet de la candidature de Bouteflika lors de manifestations vendredi 22 février. Le mouvement Mouwatana a appelé de son côté les citoyens à sortir dans la rue dimanche 24 février, un jour symbole de la double commémoration de la nationalisation des hydrocarbures et de la naissance de l’UGTA.
”La rue a pris trop de poids et d’importance par rapport à l’action des politiques, même ceux de l’opposition qui veulent faire barrage au 5e mandat”, estime l’opposant dont le parti a participé mercredi à Alger à un conclave de l’opposition sur l’éventualité de la désignation d’un candidat unique face à celui du pouvoir. Une réunion qui s’est achevée sur un échec. Les partis présents ne sont pas entendus sur un candidat unique.
”Les manifestations de rue contre le 5e mandat montrent que les jeunes, la rue algérienne, sont excédés par toute cette agitation politique autour de l’élection présidentielle, l’immobilisme ambiant et les manœuvres du pouvoir pour se maintenir en place, et préserver ses privilèges de caste”, ajoute la même source.
Abdelmalek Sellal a bien compris ce climat de ”défiance” de la rue vis-à-vis du pouvoir et la perspective d’un 5e mandat de Bouteflika. Ce jeudi, devant les directeurs de wilaya de la campagne du président Bouteflika, Abdelmalk Sellal, sentant visiblement la pression de la rue, a notamment déclaré : ”Nous comprenons les jeunes, qui veulent un changement”, avant de reconnaître que ”cette phase est sensible, qui a besoin d’un homme qui puisse nous faire passer cette phase.”
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La rue plus visible que le pouvoir
”La transition actuelle est difficile”, a-t-il encore ajouté, comme pour signifier à tous, opposition comme manifestants, que ”mieux vaut quelqu’un qu’on connaît qu’un autre que l’on ne connait pas”. Dès lors, il sort l’argument massue : ”Pour le changement, il faut que le peuple soit préparé”, et donc que le moment de l’alternance n’est pas encore venu. Des déclarations qui confirment qu’au sein du pouvoir, on a pris la température de la rue, et que les manifestations contre le 5e mandat ébranlent vraiment des certitudes, même si on semble dire que l’heure n’est pas encore au changement.
“Oui, la rue a pris une longueur d’avance sur les politiques. Ce n’est pas la première fois en Algérie’’, explique Nacer Djabi à TSA. “Elle a été toujours en avance. Le politique est toujours en retard, à la traîne de la rue ”, ajoute-t-il. Pour lui, la rue ”s’exprime mieux que le pouvoir, elle est plus visible que le politique.”
Les deux manifestations de Kherrata samedi 16 février et le rassemblement de milliers de sympathisants de Rachid Nekkaz à Khenchela mardi, se sont passés dans le calme, sans heurts ni destruction de biens publics.
Mieux, les forces de l’ordre déployées dans les deux villes ne sont pas intervenues et aucune provocation n’a émané d’aucune partie. Ces deux manifestations sont, pour beaucoup, des preuves de la capacité des Algériens de s’exprimer en recourant à la rue sans qu’il n’y ait pour autant de dérapage.
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