Les magistrats sont de nouveau montés au créneau. Ce samedi 11 mai, ils se sont exprimés de manière officielle par le biais de leur syndicat, le SNM, pour réaffirmer leur attachement à leur droit d’être un pouvoir indépendant.
On les croyait de nouveau rentrés dans les rangs, mais cela ne semble pas être le cas. Le 14 mars, le rassemblement de juges devant le siège de la Cour d’Alger avait été qualifié d’historique. Ce jour-là, ils avaient réclamé une véritable indépendance de l’appareil judiciaire et la concrétisation du principe de la séparation des pouvoirs. Quelques jours auparavant, le Club des magistrats était créé, et ses membres ont affiché leur opposition au cinquième mandat et leur soutien aux revendications des manifestants.
Le 13 avril, les membres de ce club ont franchi le pas en annonçant leur refus de superviser l’élection présidentielle du 4 juillet. Le 27 du même mois, le vent du changement a atteint le Syndicat national des magistrats et l’inamovible Djamel Laïdouni qui l’a dirigé et mis au service du pouvoir pendant 20 ans a dû céder sa place à Issad Mebrouk, un des fondateurs du club des magistrats.
On s’attendait dès lors à plus d’implication de la corporation dans les événements qui secouent le pays, mais au plus fort d’une polémique sur des soupçons d’injonction de l’armée à l’appareil judiciaire, ni le Club ni le SNM n’avaient réagi, pas plus qu’ils n’ont fait savoir le fond de leur pensée lorsque des hommes d’affaires et d’anciens responsables furent convoqués ou incarcérés dans des prisons civiles ou militaires.
Pourtant, beaucoup avait été dit lorsque le chef d’état-major de l’ANP avait appelé directement la justice à ouvrir les dossiers de corruption, lui offrant « des garanties suffisantes ». Mais au lendemain d’une autre arrestation qui a fait couler beaucoup d’encre, celle de Louisa Hanoune, le SNM a cru utile de prendre de nouveau la parole.
Son communiqué quelque peu inattendu de ce samedi, même s’il pèche par un excès de prudence, sonne comme une appréciation des propos d’Ahmed Gaïd Salah et une mise au point à tout ce qui a été dit à propos du rôle de la justice dans les événements en cours. Pour le SNM, la seule garantie et l’unique protection de la justice et des juges ne peuvent venir d’aucune partie en dehors de l’autorité judiciaire et on ne peut, en l’état actuel des choses, parler d’indépendance de la justice. « Cela peut être mis en pratique par une série de procédures consacrant une totale indépendance des juges, à commencer par la révision des lois et des structures qui organisent l’action du juge et son parcours professionnel. On ne peut pas parler de justice indépendante et protégée avec les lois et les structures actuelles », est-il souligné.
« Les juges refusent qu’on traite avec eux comme un appareil qui n’entre en action que sur ordre ou sur convocation. Ils sont attachés à leur droit constitutionnel, qui est réclamé par le peuple, d’être un pouvoir indépendant qui assume ses missions conformément aux principes de légalité et d’équité, d’après une approche d’impartialité et dont le but est d’être juste», ajoute le SNM.
En outre, le syndicat met en garde contre toute atteinte à l’intégrité ou à l’indépendance des juges par « des déclarations, des insinuations ou tout autre comportement ».
On retiendra de cette sortie du syndicat des juges le fait qu’elle tranche avec la communication habituelle de l’organisation, en reconnaissant courageusement que l’indépendance de la justice demeure un objectif qui n’est pas encore atteint, malgré les affirmations du pouvoir.
La teneur du communiqué laisse aussi supposer que le mouvement des magistrats va se poursuivre et le syndicat continuera à exiger la mise en place de véritables outils pour consacrer l’indépendance du magistrat et le principe de la séparation des pouvoirs. En reprenant l’initiative au moment où la chape de plomb commence à recouvrir de nouveau la vie nationale, les magistrats ont au moins prouvé que leur fronde entamée dans les premières semaines du mouvement populaire n’est pas qu’une parenthèse.
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