L’espoir était grand de voir les représentants de la société civile, réunis samedi 8 juin à Alger, sortir avec une feuille de route pour une sortie de crise pacifique et rapide.
Les 71 associations et syndicats structurés en trois blocs avaient pour objectif de s’entendre avant d’aller vers la conférence de la société civile prévue le 15 juin.
Ce n’est que partie remise, assurent les responsables de certaines organisations qui se sont exprimés à l’issue de la rencontre de samedi qui s’est terminée sans accord, assurant unanimement que la conférence ne sera pas reportée et aura lieu à sa date initiale.
L’enjeu est grand en effet. C’est la première fois depuis le début du mouvement populaire le 22 février qu’une tentative collective d’arrêter un plan de règlement de la crise est entreprise.
Jusque-là, on a assisté à une pléthore de propositions émanant de personnalités nationales et de partis politiques, s’accordant sur l’essentiel, soit le changement de système politique et l’édification d’une deuxième République, et divergeant sur la voie à suivre pour y parvenir.
Elles avaient cependant peu de chances d’être acceptées par le pouvoir en place ou de lui être imposées à cause de la démarche individuelle de leurs initiateurs.
Les dynamiques de la société civile, elles, disposent d’un atout maître : leur représentativité indiscutable dans certaines corporations. Il s’agit en effet d’une sorte de confédération des confédérations (le Forum civil pour le changement, la Confédération des syndicats algériens et le Collectif de la société civile) regroupant au total plus de soixante-dix organisations, syndicats et associations de tous horizons.
Les seuls syndicats autonomes du secteur de l’éducation ont fait preuve ces dernières années d’une grande capacité de mobilisation, réussissant de nombreuses grèves cycliques jusqu’à faire plier les autorités sur des dossiers socioprofessionnels.
Il sera difficile au pouvoir d’ignorer l’avis d’un tel conglomérat s’il se met à parler d’une seule voix. Aussi, un éventuel consensus sur une feuille de route aux contours clairs enlèvera aux autorités l’argument principal qui les fait s’accrocher à « la solution constitutionnelle », soit l’absence de propositions et d’interlocuteurs, même si, à l’issue de la rencontre de samedi, beaucoup ont évacué toute idée de prétendre parler au nom du hirak ou le représenter.
Paradoxalement, la faiblesse de ces dynamiques est dans leur force. Il est plus que difficile en effet de concilier autant d’avis, encore moins arriver à un consensus en si peu de temps.
Comme l’ensemble de l’opposition politique, les organisations de la société civile ne divergent pas sur la nécessité de répondre sans tarder aux revendications de la rue.
Mais à la différence des partis qui tous refusent de s’engager dans un processus électoral ou autre géré par les figures léguées par Bouteflika, il se trouve parmi la société civile qui ne voit pas d’inconvénient d’aller aux urnes maintenant.
Deux grandes tendances se sont dégagées lors de la rencontre de samedi dernier : les adeptes d’une période de transition et de l’élection d’une assemblée constituante d’un côté, et ceux qui défendent l’idée du pouvoir d’organiser d’abord une élection présidentielle pour laisser le soin au président élu démocratiquement d’engager des réformes, de l’autre.
L’espoir d’une feuille de route commune n’est toutefois pas totalement remis en cause. Que des organisations défendent l’idée d’une élection dans les meilleurs délais peut bien procéder d’une conviction et non nécessairement d’un alignement intéressé sur les thèses du pouvoir. La réunion est d’ailleurs laissée ouverte et les discussions autour d’une feuille de route consensuelle vont se poursuivre, assure Abdelouahab Fersaoui, président du Rassemblement action jeunesse, RAJ, l’une des associations les plus actives dans le hirak.
Devant les clivages qui minent la classe politique et l’hésitation de ses chefs à franchir le pas d’une action concertée pour la structuration de la contestation, la société civile pourrait offrir un début de solution si ses représentants se montrent à la hauteur de leur responsabilité historique.
Il ne faudra pas aller loin pour chercher l’exemple à suivre. Le rôle de la société civile tunisienne dans le succès de la révolution de 2011 a été récompensé par pas moins qu’un prix Nobel de la paix.