Sur la plage du village de vacances Capritour à Tichy, trois kheimas (tentes ou chapiteaux) ont été dressées dès le début de la saison estivale. Les trois chapiteaux ont fait office de discothèques, chanteurs rai, DJ à la mode, danseurs et danseuses y officiaient presque chaque soir pendant de nombreuses semaines, créant une pollution sonore qui durait jusqu’au bout de la nuit.
« Alors que le règlement impose à tous les établissements proposant des spectacles pendant l’été de les arrêter tôt dans la nuit, ces kheimas font du bruit, diffusent de la musique jusqu’à 6h00 du matin », explique un estivant résidant au village Capritour qui a également indiqué que ce règlement était respecté par tous les établissements activant dans la légalité.
Ces kheimas ne font pas que diffuser de la musique. Elles sont, selon des sources locales, des lieux où drogue, alcool et prostitution sont monnaie courante. Que ces substances soient vendues légalement à l’intérieur n’est pas sûr, mais il est de notoriété publique dans la région que l’alcool est vendu dans des débits clandestins aussi bien en ville que près des plages.
Autre nuisance causée par les kheimas, leurs déchets de toutes sortes sont entassés sur le haut de la plage et autour même des kheimas. Parfois, ces déchets « sont jetés par-dessus la clôture du village de vacances Capritour pour laisser aux agents de cet établissement le soin de les ramasser », explique un autre estivant.
La société civile excédée
Malgré ces nuisances, les « établissements » ont pu activer pendant plusieurs semaines, dans une impunité totale, malgré les protestations de la société civile, des opérateurs touristiques officiels et des riverains de la plage excédés. Des associations, des comités de villages et de quartiers et des cadres de la commune ont protesté, saisi les autorités pour faire cesser les nuisances de ces établissements mais en vain.
Quant à la légalité de ces kheimas, aucune source n’a pu la confirmer ou l’infirmer mais ce qui est sûr, c’est que leur installation n’est assumée par aucun responsable local. Selon une source locale, deux kheimas n’ont aucune autorisation et n’ont entamé aucune procédure pour en obtenir une. La troisième utiliserait un ordre de versement délivré par la commune et qui n’a aucune valeur légale, tant que les droits d’exploitation ne sont pas payés et que l’autorisation n’est pas délivrée par les services compétents.
Bagarres et règlements de comptes débordent sur les établissements hôteliers
En plus des pollutions sonores et olfactives dont elles sont responsables, les kheimas font planer un grand danger sur les touristes qui fréquentent la plage et les résidents du village de vacances qui sert de lieu de passage pour ceux qui fréquentent ces discothèques à ciel ouvert et qui s’y sont affrontés à plusieurs reprises, tard la nuit et au petit matin.
Selon un résident du village de vacances de Capritour, à plusieurs reprises, des bagarres, souvent des règlements de compte entre habitués et travailleurs de ces kheimas, ont eu lieu au sein même du village, semant panique et angoisse parmi les résidents.
Comparée aux années précédentes, la fréquentation du village touristique est en baisse, le monde ne se bouscule pas pour accéder à cet établissement qui était, il y a encore quelques années, un haut lieu du tourisme balnéaire en Algérie.
Un cadre d’une administration locale confirme : l’affluence dans les établissements hôteliers « officiels » de la wilaya ont fortement baissé, « jusqu’à moins 60% pour certains », l’insécurité et les commerces informels sur les plages y sont pour beaucoup selon lui.
Ces établissements clandestins n’ont été inquiétés par la gendarmerie (dont relève le secteur de Tichy) qu’au lendemain du décès d’un estivant agressé à Souk Lethnine par, selon la version officielle, des gardiens de parking.
Dès les premiers jours qui ont suivi le décès de Zoubir Aissi, un premier chapiteau a été démonté après une intervention de la gendarmerie. Les deux autres chapiteaux ont, quant à eux fusionné. Le but de cette union était, selon notre source, de faire en sorte que l’un des chapiteaux qui agissait en complète illégalité puisse bénéficier de la « couverture » du second chapiteau qui était « moins illégal », selon ses dires, et était planté sur la plage de Tichy pour la septième saison estivale de suite.
Le résultat en a été une kheima difforme, faite de bric et de broc, de toiles de couleurs inhomogènes, gâchant la vue à partir de la plage et sur celle-ci et barrant l’horizon du village touristique.
Cette kheima hybride activera encore plusieurs nuits (une ou deux selon d’autres sources), avant de faire à son tour l’objet d’une nouvelle intervention de la gendarmerie qui fera démonter le chapiteau.
L’opération couverte par une chaîne de télévision privée a fait grand bruit et suscité l’espoir des riverains et des opérateurs touristiques qui agissent dans la légalité sur la plage de Tichy. Mais c’était sans compter la ténacité des propriétaires de ces discothèques clandestines qui semblent n’avoir peur de rien ni de personne, puisque le soir même, une soirée tout aussi bruyante que les précédentes a été organisée dans ce qui ressemblait alors plus à un amas de décombres qu’à une kheima. Jusqu’à dimanche soir, la kheima continuait à activer chaque nuit jusqu’au petit matin.
Des sommes d’argent colossales en jeu
À Tichy, l’incompréhension est totale face à ce phénomène qui démontre encore une fois, l’impunité dont jouissent certains acteurs qui se permettent de braver la loi, les autorités et la société civile sans être inquiétés. Cette assurance qu’ont les tenanciers de ces kheimas est due à « des protections », selon nos sources qui ont également affirmé que des autorités locales, y compris des élus, ont pris part à certaines soirées au sein de ces kheimas.
Beaucoup d’argent est en jeu dans ces kheimas. Selon un travailleur d’une d’elles, le prix à payer pour accéder au chapiteau est de 1000 dinars par personne, sans compter les consommations qui sont facturées à des tarifs plus qu’exagérés.
Une seule de ces kheimas peut accueillir jusqu’à 800 personnes, explique un cadre hôtelier de la région qui explique le culot des tenanciers de ces établissements par l’argent qu’ils brassent grâce à leur commerce.
Ces kheimas emploient chacune de larges groupes de travailleurs, recrutés dans toutes les wilayas du pays, ils assurent l’ordre, encaissent les entrées et servent les consommations. Ce grand nombre d’employés reflète l’envergure de ce commerce, sans compter tous les « postes de travail indirects créés », commente avec ironie un habitant de la région révolté par les nuisances causées par ces discothèques.
Ces dizaines, voire centaines, de jeunes dont les revenus dépendent de ces établissements à la nature indéfinie sont prêts à tout pour défendre le business. Nombre d’interlocuteurs interrogés par TSA sur le sujet ont refusé de parler dans le périmètre de ces kheimas alors que d’autres ont clairement exprimé leur crainte d’être les cibles de représailles si leur témoignage arrive aux oreilles des tenanciers et travailleurs des kheimas.