Depuis 2003, les faits et gestes de l’épouse du roi Mohammed VI, élevée à son mariage au titre d’altesse royale, en charge de maintes activités caritatives et protocolaires, étaient jusqu’ici abondamment chroniqués. Mais depuis trois mois, son retrait apparent de la scène publique, accompagné d’attaques mystérieuses et autant de rumeurs sur sa personne, font les choux gras de la presse étrangère qui multiplie les conjectures, tandis qu’au Maroc, le sujet est soigneusement évité par les médias
Depuis le fameux cliché montrant le 26 février la famille royale réunie autour du roi Mohammed VI convalescent à l’hôpital Ambroise Paré à Paris où le souverain venait d’être opéré avec succès pour une arythmie cardiaque, la rumeur ne cesse d’enfler autour de la « disparition » de la princesse Lalla Salma de la scène publique.
Dès le lendemain, alors que les réseaux sociaux conjecturaient sur la possibilité que l’épouse du roi soit l’auteure de la photographie diffusée par l’agence MAP, Le Crapouillot marocain, un mystérieux site internet inconnu du grand public bien qu’actif depuis 2016, et qui n’affiche rien sur ses promoteurs, menait une charge d’une violence inouïe contre Lalla Salma, critiquée d’avoir boudé cette « osmose familiale ».
Trois jours plus tard, la même source anonyme revenait par un second billet avec autant de virulence et de manière frontale pour décrire une princesse à l’origine de fâcheries au sein de la Cour. Fait étonnant, ces attaques ad hominem, sans précédent contre un membre du tout premier cercle de la famille régnante, a été couplé d’une intense campagne de diffusion de courriels à d’innombrables personnes qui suivent de près l’actualité marocaine, journalistes, diplomates et influenceurs…
Des attaques sans précédent qui ne suscitent aucune réaction
Le fait qu’un « média » local, fusse-t-il aussi insignifiant, publie de tels propos ne peut manifestement être le fait d’une initiative isolée, s’inquiète-t-on dans les salons de Rabat ou Casablanca. On se rappelle que pour beaucoup moins que cela, en avril 2005, Al-Jarida Al-Oukhra, l’hebdomadaire arabophone fondé par Ali Anouzla et aujourd’hui disparu, apprenait à ses dépens qu’on ne badine pas avec la vie privée de l’épouse du roi. Il recevait du chef de la Maison royale, du Protocole et de la Chancellerie, Abdelhak El Mrini, une lettre lourde de menaces pour avoir publié un reportage « non autorisé » dévoilant quelques aspects de l’intimité de Lalla Salma, des indiscrétions désuètes glanées auprès du nombreux personnel attaché à la Cour, bien moins attentatoires à sa personne que ce qui est dit aujourd’hui…
La presse (principalement espagnole) a très vite commenté les invectives du Crapouillot marocain, mais aussi d’autres salves venues d’ailleurs faisant état de la fortune supposée de Lalla Salma, s’interrogeant sur la raréfaction des activités publiques de la princesse. Le dernier événement de la Fondation de lutte contre le cancer qu’elle dirige et à laquelle elle a assisté, date du 23 novembre 2017 à Marrakech, note El Confidential.
Trois jours plus tard, elle prenait part à l’hommage fait au peintre Mohamed Amine Demnati au MMVI de Rabat. Depuis, plus rien, alors que nombre d’observateurs ont vite fait de remarquer que c’est le prince héritier Moulay El Hassan qui désormais accompagne son père (au One Planet Summit par exemple) ou le représente à certaines agapes officielles, la dernière en date étant le dîner offert par le roi à l’ancien président français François Hollande. Ce dernier avait précédemment donné une conférence culturelle au MMVI, sans la présence de Lalla Salma, à qui ce rôle cérémonieux était jusqu’ici traditionnellement dévolu dans de telles occasions.
Il en est de même pour l’inauguration de l’hôpital mère-enfant Dominique Ouattara, le 16 mars à Bingerville par le couple présidentiel ivoirien. Alors que l’infrastructure médicale avait reçu le soutien des œuvres caritatives de Lalla Salma, celle-ci n’était pas du voyage en Côte d’Ivoire, pays qui a pourtant toute l’attention de la diplomatie marocaine en Afrique… Elle avait pourtant lancé il y a tout juste un an l’édification d’une maison de vie pour l’accueil des enfants atteints du cancer et de leur famille dans l’enceinte du même établissement de santé. La Fondation Lalla Salma a aussi paraphé il y a quelques jours la livraison d’un important matériel fourni par la Chine, sans la présence de sa présidente… Autant de signes scrutés qui confirmeraient un retrait qui ne tiendrait pas d’une simple parenthèse d’agenda.
Des interrogations qui se multiplient dans la presse étrangère
Fait notoire, alors que la version marocaine du magazine people Hola célébrait sur 12 pages l’engagement du roi Mohammed VI en faveur des femmes à l’occasion de la Journée du 8 mars, aucune photographie de Lalla Salma n’y était reproduite, même pas en couverture consacrée au seul souverain. En Espagne, le même Hola, connu pour être le journal des « têtes couronnées », évoque même « en exclusivité » dans un article du 21 mars, « un divorce » du couple royal. Une assertion non sourcée, mais qui émane d’un titre qui entretient certains canaux privilégiés avec la Cour royale du Maroc, a vite été reprise par El Mundo… Le sujet a ainsi convaincu un des médias majeurs en Europe qui le juge crédible, alors que les chancelleries s’interrogent par ailleurs du report sine die de la visite du couple royal espagnol Felipe VI et Letizia à Rabat et de l’agenda hors-frontières du souverain depuis un certain nombre de semaines… Depuis l’information a fait tâche d’huile dans la presse anglo-saxonne, sud-américaine etc…
La première apparition officielle de Lalla Salma, hormis lors de son mariage, date de juillet 2003, lors de la visite au Maroc du président pakistanais Pervez Mucharraf. Elle avait, fait sans précédent dans les us et coutumes de la dynastie alaouite, reçu le titre d’altesse royale. Son entrée dans le monde inaugurait aussi un nouveau statut de « First Lady » pour l’épouse du roi du Maroc, bien qu’il ne soit pas constitutionnel. Le roi rompait ainsi avec la tradition du harem du sultanet se montrait depuis en compagnie de son épouse à maintes occasions protocolaires ou la conviait à sa table en présence d’invités de marque, faisant d’elle de facto un personnage public.
Un signe de modernité aux yeux de l’Occident qui faisait subtilement écho à la difficile réforme de la Moudawana, le code de la femme et de la famille revisité moins d’un an plus tard sous les auspices du Palais. Depuis, la presse marocaine chroniquait régulièrement les activités de la « princesse des cœurs (…), Cendrillon du Makhzen »…
Mais la démarcation vie privée-vie publique de la famille royale, brouillée par la communication officieuse du Palais qui laissait filtrer jusqu’ici photographies et courtes vidéos intimistes du couple royal à travers les réseaux sociaux, (à l’exemple du compte Facebook de Soufiane El Bahri), mais entretient désormais le silence total sur la rumeur qui enfle à l’international, a comme tétanisé la presse marocaine, à l’image de Goud.ma qui a publié un démenti des informations publiées par Hola et El Mundo avant de retirer son article sans explications. L’argument du non-sujet, ou celui de la sphère privée à ne pas violer avancé en privé par d’autres médias pour ne pas l’aborder, cache mal en réalité la peur de s’attirer les foudres du pouvoir dans un contexte par ailleurs de plus en plus illisible et difficile pour la liberté de la presse, où l’autocensure, largement pratiquée, est devenue une norme acceptée…
Disclaimer : Nous avons choisi de ne pas pointer de liens directs sur les contenus du Crapouillot marocain en raison de leur charge diffamatoire. Par ailleurs, il est nécessaire de mentionner que le site Yabiladi a consacré lui aussi un article au sujet le 21 mars.