Me Lachemi Belhocine est un avocat algérien basé à Fribourg. Il est l’initiateur aux côtés d’autres avocats d’une procédure en Suisse visant à récupérer au nom du peuple algérien les fonds illicites appartenant aux hommes du régime déposés dans le pays. Me Belhocine revient dans un cet entretien accordé à TSA sur les objectifs de cette procédure, ses moyens pour aboutir et la portée mondiale du mouvement lancé. Entretien.
En quoi consiste la procédure lancée ? Quels sont ses objectifs ?
La loi sur les avoirs et patrimoine permet au gouvernement suisse de bloquer tous les avoirs suspectés d’avoir été illicitement transférés depuis l’Algérie, l’argent du peuple, en Suisse. L’objectif est conservatoire. Notre message est clair : pas d’ingérence dans les affaires algéro-algériennes. La mesure conservatoire permet de geler ces fonds en attendant une décision de justice algérienne de rapatriement, une fois la lumière faite sur l’origine de ces fonds.
Sur quelle base juridique vous appuyez-vous dans votre procédure ?
La base légale en Suisse est la Loi sur les valeurs patrimoniales d’origine illicite, LVP. Cette loi permet au gouvernement suisse de bloquer les avoirs soupçonnés illicites. Du reste, la Suisse a déjà rendu environs quinze fois ce type de décision envers les avoirs de Ben Ali, Moubarak, etc.
La mesure conservatoire a permis de geler des centaines de millions et de les restituer aux peuples notamment tunisien, égyptien, etc. Pourquoi pas notre peuple algérien ? Notre collectif est en train d’analyser les documents que nos compatriotes nous acheminent en vue d’une plainte pénale pour blanchiment d’argent. Les éléments concrets sont apparus depuis le 22 février 2019 portant sur des biens sis aux USA, Canada, France, Suisse (sociétés écrans) etc. Nous y travaillons.
Pourquoi avoir attendu jusqu’en 2019 pour lancer la procédure ?
Parce qu’auparavant, les informations ne sortaient pas et notre action aurait eu de faibles chances d’aboutir en raison des souverainetés respectives de la Suisse et de l’Algérie. Du moment que le peuple a rejeté la légitimité de ses représentants, la Suisse doit réagir. Du moins, il s’agit de mon intime conviction. Nous y travaillons avec professionnalisme en toute légalité.
Quelle est la réponse des autorités suisses à votre procédure ?
Le gouvernement suisse a assuré par écrit qu’il suit l’évolution en Algérie de près et qu’il est prêt à tous les scénarios. Parallèlement, nous avons saisi le ministre de la Justice algérien, Slimane Brahimi, pour le mettre face à ses responsabilités devant le peuple algérien : au lieu de passer par les commissions rogatoires qui prennent beaucoup de temps, nous pourrions actionner la justice suisse ou européenne ou américaine pour faire geler ces avoirs.
Nous savons tous comment s’est fait ce vol de l’argent du peuple en général : un homme d’affaires algérien ou politicien présente une facture gonflée pour un transfert de devise au prétendu motif d’achat de biens ou de service. Donc, il suffit de demander aux institutions bancaires algériennes de lui remettre ou de remettre aux procureurs de la République algériens la liste des fonds transférés et les bénéficiaires. Ces derniers sont donc connus ou du moins peuvent l‘être.
Quel est l’intérêt de la Suisse à donner suite à la procédure ?
Les intérêts de la Suisse sont multiples. Pour ne citer qu’un exemple : la Suisse a été mise sur liste rouge des pays dis « paradis fiscaux ». Actuellement, la Suisse est encore sur liste grise, ce qui pénalise beaucoup la place financière suisse au niveau mondial. Du coup, la Suisse a intérêt à montrer au monde entier sa légitimité à sortir de la liste grise.
Quelles personnalités avez-vous cité nommément dans votre procédure en Suisse ?
Notre professionnalisme nous oblige à ne citer aucun nom bien que certains sont connus et c’est du reste le travail du Procureur fédéral suisse de faire ses investigations. Il faut être sourd et aveugle pour ne pas entendre les noms qui circulent notoirement sur les différents médias, notamment le vôtre.
Parallèlement à cela, nous recevons des documents que nous analysons et qui concernent notamment des sociétés écrans en Suisse. Un exemple concret : il y a ici en Suisse des sociétés créées par des Algériens qui n’ont ni employés, ni stock ni bureaux et sont détenues par des hommes d’affaires algériens qui ne sont même pas du métier dans lequel est censée œuvrer cette société. A quoi servent-elles ? Pourquoi payer des impôts et des frais inutilement ? Nous analysons avec l’aide de journalistes d’investigation la nature de ces sociétés écrans. Ça prend du temps.
Comment prouver qu’il s’agit d’un enrichissement douteux ?
Il faut savoir que les faits de blanchiment d’argent et de transferts illicites sont des crimes qui sont poursuivis d’office par la justice suisse. Donc, il suffit d’une dénonciation avec des faits pertinents. Nous y travaillons.
Quelles chances la procédure a-t-elle d’aboutir ?
Sur le plan politique, nous y travaillons en mettant le plus de pression possible sur les politiques ici en Suisse, à l’Union européenne, au Royaume-Uni. Aux Etats-Unis, une plainte a aussi été déposée devant le Congrès le 29 avril dernier pour geler les avoirs suspectés d’avoir été transférés illicitement. Au Canada aussi, nos amis algériens ont déposé une demande de gel des avoirs illicites. Nous y travaillons tous ensemble dans notre collectif mondial qui s’appelle “Les Algériens sans frontières”. J’entends aussi me rendre personnellement durant les mois de juin/juillet aux Etats-Unis et au Canada pour en parler avec les membres de notre collectif mondial.
Combien de temps peut durer la procédure ?
Difficile à dire. La révolution tunisienne par exemple a amené la Suisse à bloquer les avoirs dès la fuite de Ben Ali. Notre pacifisme est une première au monde et nous œuvrons pour agir au plus vite. Le 14 juin prochain, nous irons à Vienne expliquer aux politiques européens notre détermination à faire geler tous les fonds suspectés d’avoir été transférés illicitement. En Espagne aussi, nous préparons une démarche similaire.
Si des avoirs illicites sont effectivement confisqués, à qui sont-ils restitués ?
Notre message est clair : pas d’ingérence dans les affaires algéro-algériennes. Notre Hirak est sur le point de constituer une nouvelle Algérie avec une justice indépendante. Cet argent doit revenir dans les caisses de l’Etat algérien souverain, mais nettoyé de tous les voyous qui ont volé l’argent du peuple. Je précise qu’au sein de nos institutions algériennes, il y a aussi des hommes et des femmes honnêtes, intègres et véritablement patriotes.
Quels sont les mécanismes qui garantissent que les avoirs restitués iront bien au profit du peuple ?
Le Code pénal suisse, comme tout autre ordre juridique interdit de toucher à cet argent, en l’occurrence celui du peuple algérien. Impossible d’envisager une autre voie légale que celle de la restitution au peuple algérien de ses biens et patrimoines.
Qu’en est-il des démarches similaires lancées dans d’autres pays ?
Je ne suis que la partie visible de notre action collective. Nous avons créé un collectif mondial d’Algériens qui s’appelle “Algériens sans frontières”. Parmi nous, il y a des médecins, des architectes, des ingénieurs, des chercheurs, des économistes, des artistes, même des anciens moudjahidine et bien sûr des avocats. Les membres sont en Suisse, Belgique, France, Royaume-Uni, Autriche, États-Unis, Maroc, Brésil, Canada, Espagne et bien sûr en Algérie. En France et en Belgique, notre collectif mondial prépare déjà des actions similaires à la Suisse. Nous en parlerons concrètement une fois l’action entamée, il faut s’armer d’un peu de patience. Je suis convaincu que chaque humain peut apporter sa pierre à l’édifice d’une nouvelle Algérie.