Au nom de la législation européenne, la France a interdit l’entrée sur son territoire de la pâte à tartiner El Mordjene, l’un des rares produits industriels algériens à avoir pu s’imposer sur le vieux continent. Une interdiction qui soulève des interrogations sur l’attitude de l’UE.
Nonobstant le bien-fondé légal de la mesure, celle-ci révèle, du moins pour l’opinion publique algérienne, le double visage de l’Europe dans son rapport avec l’Algérie et les pays du Sud en général. Le partenariat gagnant-gagnant miroité est-il donc un slogan creux ?
Tout en reconnaissant que le produit ne présentait aucune nocivité pour la santé des consommateurs et qu’il était conformes à toutes les normes, le ministère français de l’Agriculture a mis en avant un règlement de l’Union européenne fixant les pays autorisés à exporter du lait ou des produits alimentaires contenant du lait dans leur composition vers le territoire de l’UE.
Les diététiciens, qui ont pris la peine de comparer au laboratoire El Mordjene algérien et le Nutella italien, se sont accordés que les deux produits ne sont point différents, sur tous les plans.
L’interdiction d’El Mordjene dévoile supercherie de l’accord d’association
La mesure française soulève des interrogations légitimes car pendant plusieurs semaines, la pâte algérienne a pu passer par les ports sans que ce fameux règlement européen ne soit invoqué.
Pour beaucoup en Algérie, il s’agit d’une manière de protéger une marque européenne, Nutella en l’occurrence, face à une concurrence venue de l’autre rive de la Méditerranée.
Le président de l’association algérienne de protection des consommateurs (Apoce) est de ceux qui ne croient pas à l’argument du règlement européen. “Le produit circulait normalement et lorsqu’il est devenu un danger pour leur produit bien-aimé, ils ont fait toutes les analyses et sorti toutes les normes”, a dénoncé Mustapha Zebdi.
Quand bien même l’Europe n’aurait fait qu’appliquer ses règlements, il reste que cette affaire dévoile la supercherie des accords d’association : tout en s’ouvrant les autres marchés par le démantèlement tarifaire, l’UE ferme le sien par les barrières normatives.
Des barrières si hermétiques que même un produit dont la qualité et la conformité sont indiscutablement reconnues, que les consommateurs s’arrachent aux rayons, n’est donc pas parvenu à franchir.
Partenariat de l’Europe avec les pays du sud : ce que révèle l’épisode El Mordjene
Ceux qui, en Algérie, dénoncent depuis deux décennies le caractère inéquitable de l’accord d’association négocié dans la précipitation avec l’UE au début des années 2000, s’en trouvent une fois de plus confortés.
Cette Europe qui ne veut pas d’un seul produit algérien bien fait, ne se gêne pas lorsque, de l’autre côté, le marché n’est pas totalement ouvert à ses marchandises.
La Commission européenne l’a fait il y a à peine trois mois, lorsqu’elle a annoncé à la mi-juin l’ouverture d’une procédure contre l’Algérie pour les mesures que celle-ci avait prises pour rationaliser ses importations et préserver ses réserves de change.
L’Algérie, comme ses voisins du Maghreb, pouvaient légitimement attendre un coup de pouce de l’Europe à leur développement par l’investissement direct et le transfert de technologie. Mais le véritable investissement se fait toujours attendre plus de deux décennies après la conclusion d’accords d’association prometteurs sur le papier.
Un coup dur pour l’image de l’Union européenne
La pâte fabriquée en Algérie par la marque Cebon n’aurait certes pas changé le visage de l’économie algérienne, quand bien même elle décuplerait ses exportations.
Néanmoins, son interdiction en France, donc en Europe, ternit davantage l’image peu reluisante de l’Union européenne en Algérie.
Elle fait tant parler car elle est révélatrice de la conception faite de l’autre côté de la Méditerranée du partenariat avec les pays de la rive sud : il est attendu de ceux-ci qu’ils ouvrent leurs marchés sans réciprocité et de faire le gendarme dans la lutte contre les flux migratoires et la menace terroriste, également sans contrepartie en matière de développement, d’investissement et de transfert de technologie.
L’approche est néanmoins périlleuse et l’effet boomerang est déjà là : les flux migratoires qui empêchent l’Europe de dormir sont d’abord le fruit de ce sous-développement duquel elle refuse d’aider les pays du sud à sortir.