Quatre jours après avoir officiellement décidé d’arrêter The Voice, le télé-crochet qui l’avait révélée aux yeux de la France, Mennel Ibtissem continue malgré elle de susciter des réactions.
Tout avait pourtant si bien commencé pour la jeune femme de 22 ans. Elle avait conquis le jury avec une brillante interprétation de « Hallelujah », en anglais et en arabe, yeux bleus étincelants et turban sur la tête.
La jeune femme, en partie algérienne par sa mère, est musulmane. Un critère qui en dérange plus d’un sur les réseaux sociaux, où des commentaires islamophobes, ont commencé à fleurir.
Mais le rêve vire surtout au cauchemar après que des internautes ont exhumé certains de ses tweets controversés, publiés après les attentats terroristes à Nice et à Saint-Étienne-du-Rouvray, en juillet 2016. La jeune femme publiait un message jugé complotiste et écrivait que « les vrais terroristes, c’est notre gouvernement ».
Une déflagration médiatique
Patatras. La machine médiatique est lancée et le déferlement des accusations, inarrêtable. On accuse Mennel d’être partisane de l’islamisme, de promouvoir les idées terroristes, d’apprécier Dieudonné (un humoriste controversé, qualifié d’« antisémite », banni des médias) et de relayer les discours de Tariq Ramadan, qui venait d’être accusé d’agressions sexuelles.
« Mennel n’est plus une gamine française interprétant en arabe la chanson d’un chanteur juif, superbe symbole. Non, elle est désormais un agent de l’ennemi. Elle est le mal au visage d’ange. Elle est le paravent de l’islamisme, ce mot fourre-tout qui autorise la confusion entre un tweet imbécile et une complicité criminelle », écrivait-il y a quelques jours dans Libération, Saïd Benmouffok, un professeur de philosophie.
La jeune femme publie sur Facebook des excuses, affirme qu’elle aime la France, son pays, que ses messages « étaient l’expression d’une peur qu'[elle] partageait seulement à cette époque, avec [ses] amis sur ce réseau ». Avant d’expliquer « regretter profondément ses messages ».
Pas suffisant pour éteindre l’incendie. Près d’une semaine après que le public l’a découverte sur TF1, la jeune chanteuse annonce dans une vidéo publiée sur Facebook son départ de l’émission.
« Je n’ai jamais songé à blesser qui que cela soit et la seule perspective que mes propos soient source de peine me heurte. J’ai donc pris aujourd’hui la décision de quitter cette aventure ».
ITV Studios France, la société de production du télé-crochet a déclaré quant à elle que « malgré des excuses sincères, l’environnement était trop pesant ».
Le visage d’une France que l’on ne veut pas voir
Le cas Mennel révèle à lui seul combien la société française est déchirée sur la question identitaire. Et enlise un peu plus le pays dans ses difficultés. Est-ce parce qu’elle est musulmane ? La comédienne Marion Cotillard, le réalisateur français Mathieu Kassovitz ou l’humoriste Jean-Marie Bigard avaient bien des années avant fait part publiquement de leur doute quant à la version officielle du 11 septembre, rappelait Le Nouvel Obs, avant d’écrire : « Oui mais voilà. Mennel s’appelle Mennel Ibtissem. Elle porte ses cheveux enserrés dans un joli bonnet ».
« Alors attention encore une fois, il n’est pas question de cautionner ce qu’elle a dit sur les réseaux sociaux, ni de l’absoudre (si vous me permettez d’employer ce terme). Mais sa présence aurait été un message à une jeunesse qui fait les mêmes tweets et qui demain peut trouver sa place dans la société. Vous savez, cette jeunesse qui n’est pas Charlie et qui, demain, peut regretter ses actes et choisir de vivre en phase avec la culture française et la République française et ne pas nourrir un sentiment anti-français à vie ou ne pas se sentir rejetée », a indiqué ce mardi 13 février Alba Ventura, journaliste à RTL.
“Un gâchis”
Invité aujourd’hui sur RMC (une radio française), Ahmet Ogras, le président du Conseil français du culte musulman (CFCM) a estimé que le départ de la jeune chanteuse du télé-crochet était « un gâchis ». « Elle a une conviction personnelle qui la regarde qui est dans la sphère privée. Bien sûr les tweets nous ont choqué mais elle s’est excusée. C’est un gâchis. Il faut continuer, il faut persister dans le respect du dialogue. Il ne faut pas hésiter à parler et à dialoguer », a-t-il poursuivi.
Kheiron, un humoriste français d’origine iranienne, a tenu à prendre la défense de la jeune femme dans un texte publié il y a quelques jours sur Twitter. « Le but de ce message n’est pas de te défendre en essayant de prouver que tu es contre le terrorisme, on le sait. Le but n’est pas non plus de dire que c’est une stratégie de l’extrême droite pour nuire aux musulmans, on le sait aussi », a-t-il commencé par écrire.
Avant de poursuivre : « Comme nous le rappelaient les médias il y a seulement un mois, 8 Français sur 10 croient au moins à une théorie du complot. (…) C’est rare de voir une femme voilée à la télé (…) C’est rare que cette personne soit en plus jolie, avec de grands yeux bleus et un grand sourire communicatif. (…) Et en plus, tu prônes la tolérance ? C’est trop pour la partie raciste de notre pays. (…) J’aurais tellement aimé que tu les fasses taire en chantant et non en te taisant vraiment »
Mennel a également reçu le soutien de Sophia Aram, taclant au passage les critiques que certains chroniqueurs ont tenues à l’égard de la jeune femme.
Lundi dernier, l’humoriste franco-marocaine déclarait dans sa chronique sur France Inter : « Aujourd’hui en 2018, en France, peu importe que Mennel présente ses excuses ou pas parce que l’occasion est trop belle pour libérer la boîte à cons de tous les médiocrates faisandés du PAF (paysage audiovisuel français) ».
En janvier dernier, Amena Kahn, l’égérie voilée de L’Oréal, avait dû renoncer à une campagne publicitaire du groupe cosmétique pour avoir publié en 2014 des tweets critiquant la politique israélienne, rappelle Le Monde.
Mennel Ibtissem, elle, s’est dite « très affectée » par les événements de ces derniers jours. « Mais vous me connaissez, je ne suis pas du genre à me laisser abattre », a-t-elle indiqué sur Facebook.