Lakhdar Bouregaâ est décédé hier mercredi à l’âge de 87 ans. Il a été emporté par la Covid-19. L’homme aux deux révolutions tire sa révérence. L’Algérie perd un héros et l’un des derniers baroudeurs de la Guerre de libération nationale.
Il y a tout juste dix mois, il était encore en prison. À 87 ans. L’âge où même les plus braves rangent les armes, profitent des derniers instants avec leur descendance et attendent patiemment leur « heure ». Lui, il était encore à courir derrière un idéal.
Un idéal pour lequel il a fait une révolution armée, dans la force de sa jeunesse, puis accompagné une autre, pacifique, au crépuscule de sa vie. Lakhdar Bouregaâ a succombé au Covid-19 ce mercredi 4 novembre. Il était hospitalisé à la clinique les Glycines (Alger) de la DGSN.
Il s’en va quelques jours après la commémoration du déclenchement de la Guerre de libération. Le dernier combat, il l’a perdu. Les chances étaient inégales : le méchant virus asiatique contre un corps frêle, surmené par l’âge et les épreuves.
La dernière fut donc son incarcération fin juin 2019 –encore un signe du destin ?- quelques jours avant la célébration de la fête de l’Indépendance. Bouregaâ a été arrêté pour son implication dans le Hirak populaire. Sept mois à la prison d’el Harrach, entrecoupés d’une hospitalisation et d’une opération pour une hernie discale. C’est le corps suturé qu’il a été remis dans sa cellule.
Au cours de sa détention, il est resté debout, refusant de répondre aux questions du juge, envisageant d’entamer une grève de la faim puis rejetant l’offre de sa libération si un seul de ses codétenus parmi les jeunes du Hirak reste derrière les barreaux.
Il sera remis en liberté le 2 janvier 2020, puis condamné en mai à une amende pour « atteinte au moral de l’armée ». Lors de la marche historique du 1er novembre 2019, alors que Bouregaâ était toujours détenu à el Harrach, les jeunes manifestants avaient fait de son portrait, qu’ils ont arboré par milliers, le point de jonction entre la génération d’hier et celle d’aujourd’hui, le combat pour la souveraineté nationale et celui pour la souveraineté populaire.
Né en 1933 à Médéa, Lakhdar Bouregaâ a rejoint la révolution en 1956. Il deviendra chef de zone dans la wilaya IV historique avec le grade de commandant.
Après l’indépendance, il ne cautionne pas la voie empruntée par ceux qui ont pris le pouvoir par la force et participe à la création du FFS, entré en rébellion en 1963.
Arrêté, il connaîtra sa première incarcération. En 1967, c’est l’autoritarisme de Boumediene qu’il conteste et prend part au coup d’État manqué du colonel Tahar Zbiri. De nouveau la prison. Il ne retrouvera la liberté qu’en 1975.
À l’anathème que l’ENTV a tenté de jeter sur son passé lors de son arrestation en juin 2019, Lakhdar Bouregaâ n’a pas jugé utile de répondre. Sans doute que tous ces éléments suffisent pour ridiculiser ceux qui l’ont qualifié d’usurpateur et de faux moudjahid. Ni Benbella ni Boumediene, qui l’avaient pourtant fait emprisonner, n’avaient remis en cause son passé révolutionnaire.
« Lakhdar Bouregâa n’est pas seulement un moudjahid, mais un héros ». C’est en ces termes que Mohand Ouamar Benlhadj, secrétaire général par intérim de l’Organisation nationale des moudjahidine, avait résumé sa réponse et celle de ses compagnons d’armes, après le grave dérapage de la Télévision publique. Il a combattu « les soldats d’élite de l’armée française, en l’occurrence la 10e DP de Massu et Bigeard », avait-il ajouté.
En 1990, le vieux maquisard édite un livre, une sorte de testament-mémoires au titre évocateur : Témoin de l’assassinat de la révolution. Déçu par le cours pris par les événements après la victoire sur le colonialisme ? Certainement, mais jamais désespéré, jusqu’au dernier souffle.
Il a été de toutes les luttes et de tous les combats pour la démocratie et l’État de droit, il a accompagné la société civile, il intervenait régulièrement dans les forums et rencontres sur l’Histoire. Il a fait siennes mêmes les causes justes des autres peuples. Lakhdar Bouregaâ est de ceux qui ont rencontré l’Histoire pour ne plus la quitter.