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L’Algérie a besoin d’un « baril de pétrole à plus de 80 dollars »

L’Algérie a besoin d’un « baril de pétrole à plus de 80 dollars »

Brahim Guendouzi, professeur d’économie à l’université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou , décortique dans cet entretien le Budget de l’État pour 2025 et met en garde contre les conséquences d’une baisse des prix du pétrole sur les finances de l’Algérie.

Il évoque aussi les contraintes à l’exportation hors hydrocarbures ainsi que le défi fixé par le gouvernement, l’investissement étranger en Algérie et ce que la Banque mondiale appelle le double taux de change.

Dans la Loi de finances 2025 qui a été adoptée par le Parlement et signée par le président de la République ce dimanche, les dépenses d’investissement sont de 3.128,32 mds de DA (crédits de paiement). Elles sont inférieures aux dépenses de personnel 4.445,78 milliards de DA et celles relatives au fonctionnement des services (426,4 milliards). Les dépenses sont deux fois supérieures aux recettes, ce qui donne un déficit budgétaire de 8 271,55 milliards (–21,8 % du PIB) en 2025. L’État ne doit-il pas réduire ses dépenses et son train de vie ?

La structure du budget de l’État pour 2025, voté par les deux chambres du Parlement et signé par le président de la République, fait ressortir effectivement une croissance des dépenses de l’ordre de 9,9 % par rapport à 2024, alors que celle des recettes n’est que de 3,5 %.

Le gap entre les deux rubriques donne un déficit budgétaire de – 21,8 % du PIB et le solde global du Trésor se situerait à -22,2 % du PIB.

La dette publique interne avoisine les 50 % du PIB, bien que la dette extérieure soit insignifiante.

À partir de là, il y a évidemment une crainte par rapport à la soutenabilité des finances publiques au cas où il y aurait un retournement du marché pétrolier international dès lors que la fiscalité pétrolière contribue pour près de 45 % des recettes budgétaires totales et les revenus extérieurs issus des hydrocarbures représentent 90 % des recettes en devises.

Aussi, la fiscalité ordinaire ne pourrait couvrir qu’à peine les traitements et salaires. Si l’on examine maintenant la structure des dépenses publiques, le premier centre de dépenses est celui des transferts qui représente 37,1 % du total des crédits de paiements dégagés.

On y trouve les transferts pour les personnes, y compris les subventions, les transferts à destination des collectivités territoriales, les associations et les entreprises qui ont pour mission le service public.

Le deuxième centre des dépenses concerne celui des salaires et traitements de l’ensemble des personnels y compris ceux des entreprises publiques à caractère administratif, avec 34,18 % du budget de l’État.

Le troisième centre des dépenses est occupé par les investissements publics avec 18,6 % des crédits de paiements alloués.

Cependant, il y a lieu de remarquer que pour les investissements, les dépenses globales peuvent aller au-delà d’une année et ce, en fonction des délais de réalisation et des autorisations d’engagement données pour chaque projet.

Il faut relever aussi que l’État s’est engagé dans un portefeuille d’investissements publics consistant touchant le secteur minier, le transport ferroviaire, les stations de dessalement d’eau de mer, les énergies photovoltaïques et l’habitat.

Enfin, le quatrième centre des dépenses touche le fonctionnement des services centraux et décentralisés, représentant 2,5 % du total des crédits de paiement.

Il est clair que s’il y a lieu de mener une politique de rationalisation des dépenses budgétaires, c’est plus au niveau des transferts qu’il faudra opérer, avec une révision de l’ensemble de ce système, en le rendant optimal avec un ciblage précis et sans remise en cause de la finalité voulue.

Au demeurant, conscient du volume important des dépenses publiques de l’ordre de 16.794 milliards de dinars,  par rapport au niveau des recettes se situant à hauteur de 8523 milliards de dinars,  et eu égard à l’ampleur des déficits publics, les autorités du pays comptent aller vers la création d’une nouvelle Agence nationale chargée des grands équilibres budgétaires, de la prospective et de la planification, qui aura probablement à apporter une vision proactive de l’évolution de la dépense publique ainsi que de la collecte et de l’utilisation optimale des ressources publiques.

C’est une vision qui se projette sur le long terme, visant à imprimer aux politiques publiques une démarche prospective eu égard aux vulnérabilités que rencontre l’économie nationale notamment la forte dépendance vis-à-vis des cours du pétrole brut.

Enfin, la mise en œuvre depuis 2023 de la Loi organique relative aux lois de finance (LOLF) et le changement méthodologique introduit en matière d’architecture financière de l’État, il y a plus d’autonomie donnée aux gestionnaires dans le choix d’affectation de la ressource financière, en échange d’une responsabilité managériale accrue.

Avec ce niveau de dépenses, quel est le prix du baril pour équilibrer le budget de l’État algérien ?

Avec un baril de pétrole dépassant les 80 dollars, la marge de manœuvre serai correcte pour supporter le niveau des dépenses. En deçà de 80 dollars durant toute l’année, il risque d’y avoir accentuation de l’inflation car trop de dépenses publiques c’est aussi trop de masse monétaire qui serait en circulation.

La croissance économique se ralentira et au-delà d’une année, une remise en cause de certains investissements publics ou leur gel est probable ! L’hypothèse d’un cours de pétrole à 70 dollars le baril tel que c’est programmé dans la LF 2025 est juste limite, car on espère que ce sera plus pour renforcer le fonds de régulation des recettes.

La fiscalité pétrolière serait à un niveau de contribution appréciable c’est-à-dire plus de la moitié des recettes budgétaires.

Plus le prix du baril sera élevé, plus il y aura atténuation progressive de la dette publique interne ainsi que de nouvelles ambitions en matière de projets d’investissements. Au-delà de 120 dollars, ce serait l’aisance financière pour l’État. Le problème qui se pose aujourd’hui, c’est la nature des arbitrages qui sont faits, car on peut faire mieux !

Pourquoi la Banque mondiale incite, à chaque fois, l’Algérie à supprimer le double taux de change ?

La définition du régime de change est du seul ressort de la Banque d’Algérie. Officiellement c’est le régime de flottement dirigé du taux de change qui est adopté et déclaré au FMI.

Aussi, toutes les opérations courantes avec l’étranger (transactions commerciales sur biens et services, transferts unilatéraux) sont évaluées à partir d’un taux de change nominal du dinar par rapport aux devises étrangères, principalement le dollar et l’euro, tel qu’il ressort à travers les cotations de devises affichées hebdomadairement par la Banque d’Algérie.

Il est à rappeler également que l’Algérie pratique la convertibilité commerciale du dinar conformément à l’article VIII du FMI.

Cela signifie que seules les opérations courantes sont autorisées en matière de change, et que les opérations en capital sont interdites conformément au contrôle des changes édicté par le règlement n° 07-01 du 3 février 2007, modifié et complété, relatif aux règles applicables aux transactions courantes avec l’étranger et aux comptes devises.

Cependant, le manque de flexibilité par rapport à l’accès aux devises étrangères concernant les ménages, a fait que des pratiques informelles relatives aux monnaies étrangères, telles qu’elles s’effectuent au niveau de certaines villes du pays, à l’instar de celles du « Square » à Alger, obéissent à une autre logique et sont tolérées pour l’instant par l’autorité monétaire.

Les clients sur ce marché particulier, en marge de la cotation officielle, sont ceux qui ne peuvent pas accéder au change officiel à travers les canaux bancaires, tel que c’est édicté par le contrôle des changes.

Pour ces raisons, le cours informel du dinar par rapport aux devises, constaté régulièrement sur des places en dehors des canaux bancaires, ne saurait constituer une référence par rapport à la détermination de la balance commerciale et celle des paiements, car relevant de l’activité économique réelle. Il n’y a qu’un seul taux de change, celui officiel évidemment, qui est utilisé dans la comptabilisation des flux d’échange avec l’étranger.

L’Algérie peine à attirer les investisseurs étrangers. Par exemple, les groupes chinois, même s’ils ont obtenu d’importants contrats dans le BTP en Algérie, leurs investissements dans le pays restent faibles. Les nationaux se plaignent des contraintes bureaucratiques. L’administration n’a-t-elle pas un poids exagéré dans l’économie ?

La question de l’attractivité de l’économie algérienne vis-à-vis des investisseurs étrangers se pose toujours, même si la nouvelle loi n° 22-18 présente des garanties, avantages et transparence aux porteurs de projets.

La création du guichet unique à travers l’Agence algérienne de promotion de l’investissement (AAPI) et ses larges prérogatives, est en soi un signal envoyé vers les investisseurs étrangers de la volonté de cristalliser sur le terrain toutes les dispositions de la loi.

C’est vrai que la bureaucratie et le climat des affaires sont contraignants pour les investissements aussi bien nationaux qu’étrangers.

Néanmoins, compte tenu de la dimension stratégique de certains secteurs d’activités comme l’énergie, la pétrochimie, la sidérurgie, l’industrie pharmaceutique, l’attrait aux investissements directs étrangers (IDE) est présent du fait des opportunités d’affaires existantes.

D’où la présence de nombreuses firmes étrangères sous forme de joint-ventures.

Concernant les entreprises chinoises, leur positionnement en Algérie reste plus orienté vers la réalisation à travers les nombreux contrats signés dans le cadre de projets dans l’habitat et les infrastructures économiques.

L’Algérie veut atteindre 29 milliards de dollars d’exportations hors hydrocarbures à l’horizon 2029. Cet objectif est-il réalisable avec les contraintes bureaucratiques et réglementaires notamment celle liée à la pénalisation du non-rapatriement des devises issues de l’exportation ?

L’objectif fixé de réaliser près de 29 milliards de dollars d’exportation hors hydrocarbures à l’horizon 2030 est en soi un véritable défi du fait de l’insuffisance actuelle de produits exportables.

D’où la nécessité de développer, grâce aux nombreux projets d’investissement enregistrés auprès de l’AAPI, s’ils venaient à entrer en production d’ici là, de nouvelles capacités de production à même de permettre une offre diversifiée de produits nationaux sur les marchés extérieurs.

L’engagement de l’Algérie dans le cadre des zones de libre-échange telles que la ZLECAF, la GZALE ou encore l’Accord d’Association avec l’Union européenne, serait sans effet s’il n’y avait pas un accompagnement d’une offre conséquente de produits manufacturés et agricoles ainsi que des services, capables de se placer sur les différents marchés des pays partenaires.

À cela, s’ajoute l’existence de nombreux handicaps (logistique, financement, divers risques, etc.) vis-à-vis de l’acte d’exporter auxquels sont confrontés la plupart des opérateurs économiques nationaux à l’approche des marchés étrangers.

Le contrôle des changes est justement l’un des obstacles souvent signalé par les exportateurs algériens qui demandent la révision du mécanisme juridique lié à la répression des infractions à la législation et à la réglementation des changes et des mouvements de capitaux de et vers l’étranger, à travers l’ordonnance n°96-22 du 9 juillet 1996, modifiée et complétée.

En Algérie, l’informel a une place importante dans l’économie. Dans la LF 2025, il n’y pas de mesures radicales pour lutter contre ce phénomène. Qu’est ce qui explique cette réticence à attaquer de front l’informel malgré les dégâts qu’il cause à l’économie nationale ? 

Le secteur informel étant très présent dans diverses sphères de l’activité économique en Algérie.

Il est arrivé à imposer certaines pratiques telles que l’absence de facturation, le paiement cash, le recours au travail au noir, etc.

Il devient difficile d’agir dans ce cas, même avec une régulation, au risque de perturber les équilibres économiques.

Aussi, est-il pertinent de commencer par l’atténuation du recours au paiement cash en imposant les instruments scripturaux et les paiements électroniques (utilisation des TPE dans le commerce).

C’est ce qui ressort d’ailleurs dans la LF 2025 avec l’obligation de payer avec ces moyens dans les transactions liées à l’immobilier et au foncier, les véhicules neufs et les contrats d’assurances.

L’approfondissement du processus de bancarisation et surtout l’accélération de la digitalisation dans tous les secteurs d’activités, vont certainement modifier la cartographie des activités économiques informelles.

En 2011, la part du budget allouée à la consommation alimentaire était de 41 %. Selon une étude réalisée par l’ONS en 2022, cette part a reculé à 34 %. Les Algériens réservent une grande partie de leur budget à l’alimentation. Est-ce que c’est à cause de l’inflation ou de la faiblesse des revenus ?

L’enquête réalisée par l’ONS en 2011, relative aux dépenses de consommation et au niveau de vie des ménages, révèle effectivement que l’alimentation représente 40,1 % des dépenses des ménages devant le poste « logement et charges » pour 20,4 %.

L’enquête de 2022 fait ressortir une baisse des dépenses alimentaires, passant à 34 % alors que les dépenses de « logement et charges » ont augmenté sensiblement à 29 %.

Une lecture de ces résultats peut se corréler au fait que l’évolution des styles de vie de l’Algérien, qui est passé des plats traditionnels à base de céréales et de légumes frais, au régime trop riche en pain blanc, en sucre et en huile, produits dont les prix sont subventionnés.

S’agissant du logement, l’augmentation s’explique par le rush sur les souscriptions des ménages aux programmes de logement (AADL, LPP) et les coopératives immobilières.

Il va sans dire que l’apparition de l’inflation en 2021 a eu un effet direct en termes de pouvoir d’achat des ménages et un ralentissement de la consommation.

À l’occasion de la journée mondiale de l’épargne, un responsable du ministère des Finances a souligné qu’entre 2021 et 2023, le revenu des ménages a progressé de plus de 13 %, comparé au taux d’inflation resté autour de 9 % sur la même période.

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