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L’Algérie a dépensé plus de 25 milliards $ dans la filière lait en 14 ans

L’Algérie a dépensé plus de 25 milliards $ dans la filière lait en 14 ans

via Pixabay
Lait

Dans son rapport 2024 publié il y a une semaine, la Cour des Comptes a passé en revue la filière algérienne du lait, en dévoilant la lourde facture dépensée pour rendre ce produit de large consommation disponible.

Elle note que si l’Algérie dispose des moyens pour « assurer l’autosuffisance dans une perspective quinquennale », cet objectif nécessite de relever de nombreux défis.

Stratégie, parité entre protéines animales et végétales

Du point de vue nutritionnel les résultats sont probants. La consommation annuelle de lait par habitant en Algérie est passée de 35 litres en 1968 à 140 litres en 2023 suite à la stratégie définie au début des années soixante-dix par les pouvoirs publics.

A l’époque, la ration alimentaire du consommateur algérien avait été considérée comme « déséquilibrée pour ce qui est de l’apport protéique d’origine animale ».

Les autorités ont décidé d’arriver à un ratio protéines animales/protéines végétales de 35gr/35grammes quotidien, un modèle très présent dans les pays développés.

L’Algérie a aussi décidé d’opter « pour le lait comme première source de protéines animales après la viande rouge ».

Lait en Algérie : une lourde facture pour des résultats mitigés

Cependant au terme de plusieurs décennies, l’objectif n’est pas atteint malgré des efforts considérables. Ainsi, entre 2009 et 2023, l’Algérie a importé pour plus de 20 milliards dollars de poudre de lait et de lait infantile, selon la Cour des comptes. Durant la même période, l’Etat a dépensé « près de 800 milliards de DA en soutien financier direct » de ce produit. Soit en tout près de 26 milliards de dollars au taux de change actuel du billet vert.

« Cependant, les résultats réalisés restent mitigés : le marché laitier (matière première) est dépendant du marché international à hauteur de 60%. Sans l’informel, il est dépendant à 80% et si on ajoute les autres intrants importés, ce taux atteindra 85% », relève la Cour des comptes.

Mais un soutien qui a favorisé « la consommation du lait importé au détriment de la production laitière nationale » selon la Cour des comptes.

Le rapport de la Cour des comptes note par ailleurs la difficulté « d’articuler la stratégie de développement de la filière bovine avec la filière lait », en effet les prix du marché sont plus favorables à la viande bovine qu’à la filière lait.

Sur le marché de la viande, l’éleveur réalise « une valeur ajoutée deux fois et demie supérieure à celle qu’il peut réaliser sur le marché du lait ».

Les primes, moteur de la croissance

Le rapport détaille le soutien financier accordé par l’Etat à la filière lait : « prêts bonifiés ; fiscalité avantageuse ; soutien aux intrants, à l’insémination artificielle, aux cultures fourragères et matériels ; primes financières ; soutien à la consommation ».

Un soutien qui ne profite cependant qu’aux éleveurs inscrits dans le dispositif de soutien financier à la production du lait cru local et exclu donc les éleveurs du secteur informel qui représentent la majorité des producteurs de lait en Algérie.

La prime accordée pour chaque litre de lait produit est passée à 19 DA contre 11 DA en 2009.  Suite à quoi, la collecte de lait « a été multipliée par 4, entre 2009 et 2013 ».

Cependant le montant des primes n’ayant pas évolué de 2014 à 2023, « le volume du lait collecté n’ont pas connu d’évolution », selon la Cour des comptes.

Ce qui fait dire aux auteurs du rapport que « le moteur de la croissance » de la production laitière en Algérie est « principalement le prix de rémunération du litre à la production et non pas le fourrage en vert ».

La collecte de lait est jugée insuffisante malgré le soutien de l’État. En cause, le secteur informel qui « produit plus des 2/3 de la production locale de lait cru ».  Un secteur jugé être « le refuge des producteurs de lait à la recherche d’une meilleure rémunération au détriment de la santé des consommateurs ».

L’Algérie soutient plus la poudre de lait importée que le lait cru local

En matière de contrôle, le rapport relève des incohérences au niveau de l’organisation de la filière concernant la traçabilité et la fiabilité des données techniques, de gestion, comptable et statistique. Aussi suggère-t-il la mise en place d’un système d’information de la filière lait.

En matière de production laitière, il est mentionné que le contrôle interne concernant le paiement des primes « révèle de fortes vulnérabilités », notamment sans que le cheptel de l’éleveur « ne soit préalablement identifié » de même que ne soient suivis les « mouvements du cheptel ». 

Quant au contrôle documentaire exercé par l’Office national du lait (ANIL) concernant les bénéficiaires des primes, il se fait sous la forme de la transmission de fichiers Excel par les laiteries.

Le rapport note : « L’exploitation de la base de données y afférente a révélé beaucoup d’erreurs et qu’elle ne résistait pas à un contrôle manuel de cohérence et de vraisemblance ». Aussi est-il suggéré l’utilisation d’une « application informatique embarquée sur WEB ».

Le système de suivi et d’évaluation de l’administration en charge de la filière est jugé insuffisant. Il est « réduit à des situations chiffrées, élaborées au besoin et souvent à la demande (en fin d’année). Les informations y afférentes manquent de fiabilité et ne résistent pas aux contrôles de cohérence et/ou de vraisemblance ».

Aussi, la Cour des comptes déplore le manque d’un système qui « prive les responsables et les décideurs d’un outil de pilotage stratégique de l’action publique, qui fournit de précieuses indications sur le déroulement de l’action permettant d’apprécier son état d’accomplissement et de planifier les ajustements nécessaires ». 

Il est également demandé que les dispositifs de contrôle interne concernant l’usage de la poudre de lait et du lait cru local soient renforcés.

Concernant le lait cru, il est suggéré son intégration dans la production « du lait pasteurisé conditionné règlementé » en réorientant le « soutien à la consommation de la poudre de lait importée vers le soutien à la consommation de lait cru local ».

Il est en effet relevé « l’importance du soutien financier à la consommation du lait importé (45 DA/litre en 2023) est contrasté par la faiblesse du soutien à la production du lait local (entre 19 et 25 DA / litre) ».

Le rapport recommande « Un prix minimum garanti à la production » un prix rémunérateur pour les éleveurs afin qu’ils soient rassurés « sur les débouchés de leurs productions et la rentabilité de leurs élevages ». Une condition jugée indispensable pour l’investissement et la modernisation des élevages.

Le rapport note également la nécessité d’un dispositif national de contrôle de la qualité du lait. En matière d’assurance, la faible adhésion des éleveurs est soulignée, ce qui oblige le recours à une indemnisation publique directe comme dans le cas des incendies qui ont endeuillé l’Algérie notamment la Kabylie en 2021.

Le Trésor public a alors accordé près de 1,5 milliard DA au profit des sinistrés. Aussi est-il suggéré que ce type d’aide soit affecté « en aides aux primes d’assurances (ex-ante) ».

Enfin, est rappelé l’importance de la communication, un moyen pour lutter contre « un désintéressement de l’encadrement administratif opérationnel et des acteurs, voire même des résistances ».

En matière de conditionnement du lait, la Cour suggère l’intérêt du lait stérilisé (UHT), conditionné en carton Tetrapack.

Un moyen de trouver des solutions « aux contraintes actuelles : de périssabilité (le lait pasteurisé ne peut être stocké au-delà de 7 jours à 6°C), de stockage, d’irrégularité des approvisionnements, de perte, de gaspillage et de détournement du lait pour d’autres fins commerciales ».

Filière lait en Algérie : ce que préconise la Cour des comptes

Pour une autosuffisance de 80%, le rapport mentionne la nécessité d’arriver à « un surplus de production laitière de 2 milliards de litres de lait par an ».

Un objectif qui implique la constitution d’un cheptel supplémentaire de « 600.000 têtes bovins dont 334.000 vaches laitières ; un rendement de 6000 l/an/vache ; 200.000 hectares de terres agricoles en irrigué ».

Le raisonnement se base sur « une charge de 3 vaches par hectare, pour assurer une alimentation fourragère suffisante » ce qui nécessite 4.000 m3 par hectare.

En matière de recherche et développement, suite au constat que la croissance de la production locale en lait cru n’est pas liée à la productivité par vache mais à un accroissement des effectifs, la Cour des comptes juge qu’«il serait plus judicieux de travailler sur une race locale améliorée, mieux adaptée aux conditions locales ».

Parité entre protéines animales et végétales

C’est donc un rapport sans concessions que dresse la Cour des comptes. Le rapport énumère les défis : résorber l’informel, améliorer la productivité des élevages, venir à bout des détournements, améliorer les contrôles, revaloriser l’élevage laitier par rapport à l’élevage viande…

Le rapport fait également état d’un objectif de 600.000 têtes bovins nécessitant la mobilisation de ressources hydriques à raison d’un milliard de m3 par an, ce qui représente un effort considérable.

Pour cela, la Cour des comptes en reste au postulat de 1972, un ratio protéines animales/protéines végétales de 35/35.

Selon les chiffres de 2017 de la FAO concernant Algérie, 46 % de l’apport protéique est lié à la consommation de céréales. Le lait représente la principale source de protéine animale avec 16 %, quant aux autres produits d’origine animale (viandes rouge et blanche et œufs) leur apport protéique journalier est de 10%.

Il reste à vérifier la justesse de cette stratégie datant des années 1970 et basée sur une parité entre type de protéines alors que les diététiciens préfèrent aujourd’hui la notion d’équilibre en acides aminés indispensables contenus dans une variété d’aliments autre que les seuls produits laitiers.

À travers son audit de la filière lait en Algérie, le rapport de la Cour des comptes est l’occasion de prendre du recul et de s’interroger sur les moyens d’une meilleure mobilisation des ressources locales pour la satisfaction des besoins de base des consommateurs.

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