Sport

L’Algérie aux JO 2024 : les leçons d’une participation

 

Comme dans de nombreux pays, les trois athlètes algériens champions olympiques de retour de Paris, ont été accueillis en héros lundi 12 août à Alger.

Arrivés à l’aéroport d’Alger, la jeune gymnaste Kaylia Nemour (médaille d’or) qui découvre pour la première fois le pays de ses grands-parents, la boxeuse Imane Khelif (médaille d’or) et Djamel Sedjati (800 m) ont eu droit à un fastueux accueil, témoin de la considération du peuple algérien pour la « fierté et le bonheur » qu’ils ont pu lui procurer l’espace de jeux qui focalisaient l’attention du monde entier.

L’exploit des trois athlètes algériens 

L’exploit de nos trois athlètes est d’autant méritoire qu’il a été obtenu dans l’adversité. Au cœur d’une inédite campagne de dénigrement sur son genre, cible de violentes attaques, y compris de la part du candidat républicain à la présidentielle américaine, Donald Trump, le milliardaire Elon Musk, patron de Tesla et de la plateforme X, ou encore de la présidente du conseil italien Giorgia Meloni et objet d’un chassé-croisé dans les travées même de l’instance onusienne, Imane Khelif a réussi, malgré une terrible pression sur ses frêles épaules, à s’adjuger une médaille d’or faisant d’elle désormais l’athlète algérienne la plus célèbre.

Blessée sans doute dans son amour propre, celle qui vendait du pain et de la galette pour aider sa famille et pouvoir s’entraîner dans sa ville Tiaret quand elle était jeune, a fait contre mauvaise fortune, bon cœur pour damner le pion à de grandes championnes offrant à l’Algérie la première médaille d’or dans l’histoire de la boxe féminine. 

Athlète au talent précoce, Kaylia Nemour a dû elle aussi subir la pression d’une partie des médias français et de responsables sportifs qui ont mal digéré son choix de défendre les couleurs algériennes.

Sa médaille dans une prestigieuse discipline, la gymnastique, obtenue face à des rivales représentants des pays indétrônables de la discipline a conféré à la moisson algérienne une saveur spéciale.

Quant à Djamel Sedjati, il a échappé de peu à des tentatives de déstabilisation. N’eut été quelques erreurs tactiques, selon les spécialistes, il aurait pu lui aussi aspirer à une médaille d’or sur le 800 m.

Mais qu’importe : ces athlètes, portés en triomphe, ont honoré le pays en le plaçant dans le top 40 des nations médaillées aux JO 2024 et donné du baume au cœur des Algériens sevrés ces derniers temps des joies des triomphes, notamment au plan international, avec les débâcles que l’on connaît de l’équipe nationale de football qui a tout raté depuis son sacre en CAN 2019 en Egypte.

Et malgré aussi quelques polémiques stériles, aux relents idéologiques, autour notamment de Imane Khelif ou de Kaylia Nemour, qui faut-il le rappeler n’a pas été formée en Algérie.

Cet exploit, aussi retentissant soit-il, ne doit pas cependant nous dispenser de l’examen nécessaire de la situation des différentes disciplines sportives, d’établir un bilan objectif de la participation algérienne et de tirer les leçons qui s’imposent.

Le football algérien, un puits sans fin 

Il ne doit en aucun cas, comme souvent en pareilles circonstances, faire office de l’arbre qui cache la forêt de l’incurie et le peu d’importance accordés aux sports individuels, le sport féminin et même collectifs, si l’on excepte le football.

Malgré des sommes faramineuses qui lui sont alloués, les infrastructures, de plus en plus modernes, qui lui sont dédiées, le football algérien, sport le plus populaire par excellence, il est vrai, peine à faire briller le pays à l’international.

Ni l’équipe d’Algérie, ni les clubs n’ont émergé au plan continental et international, particulièrement ces dernières années, exception faite de la coupe d’Afrique des nations gagnée par le onze national en 2019 et la coupe de la CAF gagnée par l’USMA en 2023.

Pas de quoi pavoiser dans un pays où le football est presque une religion. Gangréné par la corruption, infesté d’opportunistes, sans écoles de formation de base à telle enseigne qu’on est obligés de puiser parmi les binationaux pour former un onze national capable de performer, le football algérien se morfond dans des travers générant parfois même de la violence, source d’inquiétude pour les autorités.

À l’inverse, les autres disciplines sportives sont laissées à l’abandon. Sans réelle politique, sans organisation, ni vision, et sans moyens et prises en charge adéquats, beaucoup de disciplines, notamment dans les sports individuels, ne se font rappeler au bon souvenir des responsables que grâce à des performances individuelles, fruit souvent d’une volonté et des efforts des athlètes et de leurs staffs.

Le cas d’Imane Khelif est à ce titre édifiant. Voilà une fille, partie presque de rien, dans un environnement extrêmement difficile, qui, à force d’efforts soutenus et de persévérance, a réussi à tutoyer les cimes de la boxe féminine mondiale.

Elle a raconté avoir vendu du pain dans la rue, ramassé des ustensiles en plastique pour gagner de l’argent pour pouvoir se déplacer de son petit village à la salle de sports pour s’entraîner.

Toute petite, elle était une graine de championne, mais elle n’a pas été détectée, ce qui montre la panne du système de détection des athlètes capables de faire briller l’Algérie lors des compétitions internationales.

Un système en panne

Et quand ce n’est pas le manque de moyens, ce sont d’autres obstacles qui se dressent sur le chemin des athlètes.

Récemment, les deux championnes de Karaté, Cylia Ouikene et Louisa Abouriche ont été éliminées des championnats du monde en raison d’ « embûches » de la part de la fédération que leur entraîneur Dihia Chikhi a dénoncées avant de jeter l’éponge.

Jadis pépinière de talents, la boxe algérienne est désormais aux abonnés absents.

Sort similaire pour le handball, la natation ou encore l’athlétisme. Signe de la descente aux enfers : au plan collectif, aucune équipe n’a réussi à se qualifier aux JO de Paris 2024 et au plan individuel, l’essentiel des athlètes engagés ont été éliminés dès le premier tour.

Motif de fierté, mais exception dans un milieu où une réelle politique fait défaut, où pullulent l’incompétence et le passe-droit, l’exploit de nos athlètes commande une sérieuse prise en charge des différentes disciplines sportives, notamment individuelles et féminines, une sérieuse réforme, une organisation, des moyens et des objectifs sous-tendus par les exigences du haut niveau et le professionnalisme.

Pour peu que la volonté politique existe, les talents en herbe ne manquent pas. Et bien plus qu’une simple pratique, le sport est devenu, de nos jours, une arme efficace du « softpower ».

Imane Khelif, dont le nom a fini par résonner à travers le monde, a montré le chemin. Grâce à elle, le monde « saura désormais situer l’Algérie sur une carte géographique », pour paraphraser une célèbre phrase de Nelson Mandela prononcée après le triomphe de l’Afrique du sud à la coupe du monde de Rugby dans les années 1990.

Elle a réussi ce que nombre de responsables ne peuvent réaliser. A charge désormais aux responsables d’en tirer les enseignements nécessaires. Mais non pas des dividendes intéressés éphémères.

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