L’agronome Ali Kader réagit dans cet entretien à l’annonce par le ministère de l’Agriculture concernant l’envoi d’une commission d’enquête pour se pencher sur les insuffisances dans la culture du colza à Guelma. Il aborde aussi la question de la « souveraineté » alimentaire de l’Algérie dans le sillage de la crise ukrainienne.
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Le ministère de l’agriculture a dépêché une commission d’enquête dans certaines wilayas de l’Est au sujet d’insuffisances dans la culture du colza. Quelles en sont les raisons ?
Il est bon de situer le contexte dans lequel cette culture a été mise en place en Algérie, particulièrement à l’Est du pays. C’est une filière qu’il faut construire de bout en bout, c’est-à-dire à partir de zéro, de la production de semence à la transformation.
Il faut vulgariser les techniques et attirer les agriculteurs à adhérer à cette initiative par un dispositif attrayant. De prime abord, il paraît que c’est ce qui a été fait à travers les caravanes initiatiques entamées l’année passée.
Mais, ce que les instituts et certains techniciens croient savoir en décrétant des superficies à emblaver, s’avère plus ardu à réaliser sur le terrain. Alors, que s’est-il donc passé pour que le ministère enquête au lieu de se suffire comme d’habitude des bilans transmis par ses différents services ?
Il se trouve que les résultats escomptés ne vont pas suivre. Aux dires de beaucoup de personnes investies sur le terrain, les rendements seraient faibles. Pourquoi ? Certains dires font transparaître la mauvaise qualité des semences. Est-ce vrai ? Si c’était le cas, comment expliquer, dans le même rayon d’action, les bons résultats des parcelles irriguées en février à l’apogée du fort stress hydrique qui a sévi l’hiver durant et des semis réalisés avec désherbage aussitôt.
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Chez ces agriculteurs, la végétation présente un aspect plus que satisfaisant. Ne faut-il pas chercher plutôt du côté de l’itinéraire technique que la variété de colza proposée, sensible, rend des plus exigeants ? Pour tout savoir, puisque le ministère a communiqué sur la question, attendons de voir la fin, car cette institution se doit de communiquer aussi sur les résultats, ne serait-ce que par devoir ‘’technique’’ envers les chercheurs, les techniciens et les agriculteurs.
Quelles sont les potentialités de l’Algérie en la matière et quel est l’intérêt de produire du colza ?
Pour tout dire, ce sont les mêmes soles dédiées aux céréales qui sont concernées. Que l’on ne se méprenne surtout pas, comme le prétendent certains qui avancent que la sole qui y serait consacrée proviendrait de la résorption de la jachère, une contrainte endémique, faut-il le constater du reste, qui survit à tous les dispositifs.
Ces deux cultures, le blé et le colza, sont complémentaires. Conduites en rotation, elles donnent d’excellents résultats sous des latitudes pluvieuses de plus de 400 millimètres d’eau ou sous irrigation, naturellement.
D’où le choix des régions où, effectivement, les pluies sont généralement abondantes et bien réparties dans le temps, sauf pour cette campagne ou les trois mois de l’hiver ont été particulièrement éprouvants. Vu sous cet angle, le colza paraît intéressant.
Mais, la question à laquelle il faudra répondre est la suivante : c’est à partir de quelle superficie le pays pourra-t-il en tirer profit ? Le chiffre serait de plusieurs milliers d’hectares (des centaines de milliers). Mais ces milliers d’hectares, quand bien même on arriverait à les emblaver et à bien les conduire, ne vont pas faire fléchir de moitié la facture des importations de l’huile alimentaire.
Pire, ce serait les meilleures terres qui seraient défalquées à la sole céréalière qui, plus est, sont situées dans les meilleures zones de production des blés, notamment le blé tendre massivement importé et consommé.
Qu’entendez-vous par là précisément ?
Il faut savoir distinguer entre les urgences dictées par le souci de régler le problème de la sécurité alimentaire et le lancement aléatoire de projets dont la rentabilité n’est pas sûre.
Produire du blé en quantité ou produire de l’huile de colza ? Voilà le vrai dilemme. La relance des programmes dédiés à l’oléiculture pourrait pallier à terme, ce n’est pas un choix cornélien à faire. Produire mieux et plus ce que l’on sait déjà produire (blés) et développer la filière oléicole déjà construite (savoir et savoir-faire) ne sont pas un choix difficile à faire pour un pays dont le désert sera à terme aux portes de la méditerranée.
Quid de la sécurité alimentaire de l’Algérie à l’aune de la crise ukrainienne ?
Justement, parlons-en. Cette crise n’est que la face visible de l’iceberg. Personne ne sait ce qui nous attend demain. À toute chose malheur est bon, serait-on tenté de dire. Cette crise est venue pour rappeler que l’économie nationale est fragile et d’une vulnérabilité inimaginable.
Une bonne partie de notre nourriture dépend des seules recettes des hydrocarbures. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, mais force est de constater l’échec cuisant des politiques conduites pour y remédier.
Malgré quelques résultats intéressants, mais aléatoires du reste, vite remis en cause par la sécheresse précédente et cette crise pendante, le pays n’arrive toujours pas à assurer sa sécurité alimentaire et reste assujetti en bonne partie à des achats de l’étranger (blé, lait, équipements et semences…).
Cette crise va encore compliquer la tâche malgré la remontée spectaculaire des prix du pétrole et du gaz. Il est temps donc, à l’aune de ce conflit russo-ukrainien, de repenser un nouveau paradigme devant, à moyen terme, restreindre le recours aux importations.
Quelles solutions préconisez-vous ?
Les solutions existent, elles sont connues de tous. Elles relèvent plus du lancement de quelques réformes profondes que de toute autre chose. Il suffit d’avoir le courage de les affronter et les mettre en œuvre (voir le livre ‘’Agriculture algérienne, entre progrès et regrets’’, Éditions El Imal, 2020).
À défaut, il faudra un jour ou l’autre, vu les vulnérabilités du pays et le fossé qui ira en se creusant entre la démographie et l’offre alimentaire, s’attendre à en payer le prix fort. À l’heure où la crise a remis en cause la souveraineté alimentaire (et non pas plus la sécurité alimentaire) de bon nombre de nations qui se croyaient jusqu’ici à l’abri des chocs, mais qui s’attèlent sérieusement à y remédier, le temps est venu pour que, nous aussi, nous fassions comme eux. C’est à notre portée.