TRIBUNE. La France vient de formaliser sa position sur le Sahara Occidental dans la continuité de la politique du président Valéry Giscard d’Estaing aux convictions Algérie Française déclarées et assumées qui avait déployé son aviation militaire en 1976 dans une colonie que l’Espagne d’un Franco finissant venait d’abandonner.
Le président Emmanuel Macron tire aujourd’hui des dividendes économiques de cet engagement militaire et diplomatique de son pays dans une région de l’Afrique qui achevait alors son processus de décolonisation.
Cette partie de l’Afrique prend aujourd’hui une nouvelle dimension stratégique dans un continent en continuelle recomposition portée par un rejet social et politique des anciennes puissances coloniales responsables, en grande partie du retard économique et de la corruption des élites politiques africaines.
Emmanuel Macron, outre qu’il s’aligne totalement sur les thèses hégémoniques du Maroc, s’engage fortement à mettre à son service son appareil diplomatique et institutionnel et assume ainsi publiquement le choix de rompre avec la politique d’équilibre de ses prédécesseurs depuis le président François Mitterrand.
Il déclare, depuis Rabat, que l’inflexion de la position de son pays entraînera dans la même voie d’autres pays européens et méditerranéens et favoriserait l’intégration régionale de l’Afrique du Nord.
N’ayant pas pu infléchir les politiques maghrébine et africaine de l’Algérie, il en vient à considérer la constance dans nos positions diplomatiques comme une attitude hostile aux intérêts de la France.
Cette position, nouvelle dans la forme, marque une nouvelle phase de rupture dans l’histoire de nos relations et annonce leur longue mise en veille alors qu’elles sont déjà réduites, ces dernières années, à la question migratoire et à un débat sans lendemain sur la question mémorielle.
L’Algérie et la France : deux positions antagonistes
Nous sommes encore une fois rattrapés par l’Histoire. Nos deux positions respectives, souveraines par principe et antagoniques dans la réalité diplomatique, sont intimement liées aux doctrines de deux pays héritiers de deux histoires, l’une coloniale et l’autre anticoloniale.
Il est naturellement plus aisé de s’entendre avec un Maroc, fidèle allié historique de l’Occident et expansionniste par mimétisme dans la pure tradition occidentale.
Il est bien moins aisé toutefois d’envisager de faire accroire aux Algériens que l’abandon du peuple sahraoui et de ses droits légitimes favoriserait l’intégration régionale alors que toute l’histoire du processus d’intégration post indépendance d’Afrique du Nord a été fondé sur le consensus de Zéralda en juin 1988, réaffirmé à Marrakech en février 1989, selon lequel seul un règlement juste et durable de la question sahraouie participerait à la mise en place d’un climat de confiance et d’une dynamique d’intégration maghrébine .
Les chefs d’États maghrébins avaient alors réitéré leur soutien aux plans de règlement ONU-OUA.
En fait, nous nous trouvons dans une situation qui n’a rien d’inédit au regard de l’histoire diplomatique. Après son retrait forcé du Sahel, la France avait besoin d’un ancrage stratégique nouveau en Afrique du Nord que lui offre le Maroc, pays paradoxalement quasi insulaire lui-même et sans frontières avec le Sahel, en contrepartie d’un engagement diplomatique français sur un territoire, le Sahara Occidental, qui ne lui appartient pas.
Macron attend ainsi de l’Algérie qu’elle accepte le fait accompli et s’insère dans un projet euro-méditerranéen qui était à l’origine conçu pour favoriser le règlement de la question du Moyen-Orient, favoriser le dialogue entre les deux rives et construire une zone de prospérité partagée pour finir par se transformer en une voie de compensation pour les recalés de l’Union européenne et un réceptacle sans grandes ambitions ouvert aux membres de la Zone Mena .
Macron attend ainsi de l’Algérie qu’elle accepte le fait accompli
C’est dans le même esprit que l’Union pour la méditerranée (UPM ) projet mort-né de Nicolas Sarkozy – qui a inventé et instrumentalisé contre l’Algérie une chimérique demande algérienne de « repentance » à la France – a été proposé pour en réalité y intégrer la Turquie et différer sa demande insistante d’entrée dans l’UE .
Israël devait également y trouver le cadre multilatéral qui lui manquait et une opportunité de normalisation de ses relations avec les pays du Sud de la Méditerranée. Aujourd’hui, une vague idée d’intégration régionale est envisagée pour y diluer la question sahraouie.
Le président Macron propose parallèlement de faire des « gestes » sur la question mémorielle avec l’Algérie qu’il a réussi, avec l’aide des nostalgiques de droite, à transformer en axe central du débat interne politique et médiatique français.
Ses déclarations en septembre 2021 sur la Nation algérienne présentée comme sous-produit de la colonisation et le traitement qu’il a réservé aux Moudjahidine valeureux libérateurs de l’Algérie, traités de rentiers de la mémoire auraient dû suffire pour le disqualifier sur la question de la mémoire.
Il faut dire qu’il avait trouvé une certaine écoute en Algérie plus qu’en France au point de faire admettre une écriture commune de l’Histoire dans un exercice inédit et expérimental dans lequel certains Algériens trouvent des vertus d’apaisement à la mémoire historique.
L’héritage historique ne peut provenir que de la famille dans laquelle on a agrandi, de l’enseignement qu’on nous a dispensé et du pays dans lequel nous vivons.
C’est pourquoi chacun des deux pays devrait pouvoir assumer son histoire sans en faire un préalable au développement des relations humaines et économiques entre les deux peuples et les deux Etats.
*Ancien Ministre, Diplomate