Trois semaines après le putsch militaire, l’incertitude plane toujours sur une issue diplomatique à la crise au Niger alors que la situation continue de se détériorer aux frontières de l’Algérie.
Une réunion des états-majors de la Cédéao est prévue, ce jeudi, pour finaliser le projet d’intervention militaire qui a été acté lors du sommet extraordinaire du bloc Ouest africain jeudi dernier à Abuja au Nigéria.
La perspective d’une intervention militaire n’est pas à exclure, selon le ministre des Affaires étrangères du Niger, réfugié au Nigéria, Hassoumi Massaoudou.
« Elle est dans l’agenda de la Cédéao », a-t-il dit dans un entretien exclusif à France 24 et à RFI. Déplorant que les « négociations menées en parallèle n’ont rien produit pour le moment », le diplomate assure que cette « intervention peut toutefois être évitée si la junte venait à libérer le président Bazoum ». « Tout le reste est négociable », a-t-il ajouté.
Situation au Niger : l’Algérie entourée de foyers de tensions
Ces propos du diplomate interviennent alors que la junte militaire a brandi la menace d’une poursuite pour « haute trahison » du président déchu, signe de l’impasse dans laquelle se retrouve le Niger et dont la déstabilisation aura de lourdes conséquences sur la région du Sahel, mais également sur la sécurité des pays voisins, dont l’Algérie avec laquelle il partage une frontière terrestre de près de 1.000 Km.
Hostile à une intervention étrangère, position découlant de sa doctrine de politique étrangère, l’Algérie mesure plus que quiconque les retombées du recours à la force pour le rétablissement de l’ordre constitutionnel au Niger, pays multiethnique, au climat rigoureux et qui est l’un des plus pauvres au monde malgré les richesses qu’il recèle.
À ce titre, l’exemple libyen, dont le pays est plongé dans le chaos depuis plus d’une décennie, est assez édifiant et conforte Alger dans ses convictions.
On mesure d’ailleurs aujourd’hui le coût. Même si sa diplomatie doit être certainement et discrètement active pour éviter une intervention militaire, l’Algérie sera assurément confrontée à un grand défi sécuritaire si d’aventure la situation venait à se dégrader davantage au Niger.
Comment, en effet, sécuriser ses 6.343 km qu’elle partage avec ses sept pays voisins, dont une bonne partie est marquée par des turbulences et l’instabilité politique ?
Sur une large étendue de ses frontières, des fléaux se multiplient et constituent des sources d’inquiétude, comme le déploiement des groupes terroristes, la présence de troupes étrangères, le développement du grand banditisme, le trafic en tous genres et les flux migratoires.
Déjà sur la brèche en ce qui concerne l’étendue de sa frontière avec la Libye, 983 km, depuis plus de dix ans, l’Algérie devrait sécuriser ses 965 km avec son voisin tunisien, exposés à la contrebande et aux éventuelles infiltrations de groupes extrémistes en provenance de la Libye.
À l’Ouest, elle doit être sur le qui-vive avec le voisin marocain avec lequel les relations se sont détériorées depuis leur rupture, en août 2021, et partageant une frontière de 1.559 km.
Outre le trafic de drogue, l’Algérie doit faire face à des provocations en permanence, comme ces trois camionneurs tués, en novembre 2021, au Sahara occidental par un bombardement attribué au Maroc.
Et les choses ne risquent pas de s’améliorer de sitôt avec la normalisation des relations entre Rabat et Tel-Aviv, suivie du renforcement de la coopération militaire entre le Maroc et Israël.
Au Mali avec lequel l’Algérie partage 1.376 km, la situation peine à se normaliser malgré les efforts soutenus pour la restauration de la paix à la faveur de l’accord d’Alger de 2015 signé entre les différents groupes rebelles du Nord et le pouvoir de Bamako, comme en témoignent les tensions nées de la reprise dimanche de la base de la Minusma à Ber par les militaires et qui n’agrée pas la coordination des mouvements de l’Azawad (CMA).
Avec une hypothétique dégradation de la situation au Niger, la situation risque de s’avérer encore plus complexe et plus dangereuse et posera un surcroît de défi à l’Algérie.
Préoccupations et inquiétudes
Dans un entretien accordé au Washington post et publié ce mardi 15 août, le ministre des Affaires étrangères, Ahmed Attaf a de nouveau exprimé les préoccupations de l’Algérie face aux risques d’une intervention étrangère au Niger, mais également sur ses éventuelles implications.
Tout en rappelant que la situation était « grave » au Niger avec le coup d’État du 26 juillet dernier, Ahmed Attaf a évoqué cette « fameuse zone appelée la zone des trois frontières, réputée pour la forte concentration de groupes terroristes. » Il a ajouté qu’il y a des « armées terroristes » au Sahel et non des groupes armés. Ces armées de terroristes « menacent directement le Burkina Faso, le Mali, certaines régions du Tchad et le Niger », a-t-il dit.
Sans dévoiler leurs contours, Ahmed Attaf a fait état de concertations entre plusieurs acteurs de la communauté internationale pour tenter de parvenir à une solution pacifique au Niger.
Le chef de la diplomatie algérienne a toutefois exprimé ses réserves sur une éventuelle fermeture des frontières tout comme sur les sanctions économiques imposées par la Cédéao contre le Niger, en soulignant les liens entre les peuples nigérien et algérien.
Déjà avant lui, c’est le chef du mouvement El Bina, Abdelkader Bengrina en l’occurrence, qui a tiré la sonnette d’alarme sur les conséquences d’une éventuelle dégradation de la situation au Niger.
« Toutes nos frontières sont minées, visées et sont dans des situations d’insécurité et d’instabilité », s’est-il alarmé lors d’une rencontre avec les cadres de son parti sur la situation au Niger.
Abdelkader Bengrina a même pointé du doigt les Émirats Arabes Unis, qu’il ne cite pas au demeurant, l’accusant de chercher à nuire à l’Algérie.
Ce pays, dénoncé déjà pendant le « Hirak » par les manifestants et dont la presse a fait état récemment de ses activités subversives contre l’Algérie, est au profit d’Israël.
« Voyez ce qui se passe au Niger, rappelez-vous qu’un pays arabe a tenté d’acheter une base militaire au Niger au profit des sionistes, tout comme il souhaiterait le faire en Mauritanie et que l’Algérie l’en a empêché », a révélé Bengrina, connu pour sa proximité avec les autorités, et dont la sortie a été probablement inspirée.
Le chef du parti islamiste a décrit une situation chaotique aux frontières de l’Algérie, tout en affirmant que la Tunisie normalisera bientôt ses relations avec Israël. Pour Bengrina, la menace israélienne est en train d’entourer l’Algérie.
Face au chamboulement géostratégique qui s’opère au Sahel et qui ne manquera pas d’impacter l’Algérie, Bengrina réitère son appel à la constitution d’un « front interne » en invitant l’opposition à se joindre à son initiative.
Un front qui visiblement peine à se mettre en place en raison des divergences au sein de la classe politique, mais également en raison du climat politique interne.
Ce qui explique peut-être son appel aux autorités pour « informer les Algériens sur les menaces qui pèsent sur le pays ». « Je dis aux autorités, rencontrez les élites, les différentes catégories sociales pour les tenir au courant des menaces ». De quoi suggérer les préoccupations de l’Algérie face à un véritable cercle de feu qui l’entoure désormais.
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