Société

L’Algérie impactée par la sécheresse : les explications d’un spécialiste

Malek Abdesselam est diplômé de l’Institut algérien du pétrole (IAP) en géologie pétrolière. Il est docteur en hydrogéologie et directeur du laboratoire des eaux de l’Université de Tizi-Ouzou. Dans cet entretien, cet expert-consultant en eau, sol et environnement, parle de la sécheresse qui frappe l’Algérie ces dernières années.

 

Nous venons de passer un mois d’avril presque sans pluie. Quel sera l’impact sur la reconstitution des réserves d’eau et l’agriculture en Algérie ?

 

D’ordinaire, jusqu’à avril c’est la période de reconstitution des recharges des nappes aquifères et des barrages; cette année cela n’a pas été le cas.

Effectivement, à ce jour samedi 6 mai 2023, nous n’avons eu que deux jours de pluies en plus de deux mois (66 jours depuis le 9 mars) dans toutes les régions d’Alger à Tizi-Ouzou, Bouira, Setif, Constantine, Médéa, Chlef, Mascara. Zero pluies à Oran. Seul le littoral Est de Bejaia, Jijel à Annaba a reçu un peu plus de précipitations. Ce mois d’avril a été aussi très chaud.

Juste avant, nous avions eu un hiver pluvieux et neigeux qui a démarré la deuxième quinzaine de janvier (supérieur aux moyennes) avec un mois de février et une première semaine de mars pluvieux (mais déficitaires par rapport aux moyennes) et 30 jours de précipitations au total.  C’était bien parti pour l’agriculture avec un boom du développement des végétaux.

Mais les hautes pressions atmosphériques et la remontée des masses d’air du Sud, avec du sirocco le 15 mars, puis fin mars, qui s’est répété mi-avril et les 40 degrés fin avril, ont permis l’installation de conditions anticycloniques sans pluies et des températures élevées la journée.

Ces plus de 60 jours sans pluies et de chaleur ont asséché les sols, les cours d’eau et stressé les végétaux. Ces derniers n’ont pas pu poursuivre leurs cycles végétatifs aux moments où ils avaient le plus besoin d’humidité. Le bilan des céréales, en particulier, sera problématique ce printemps tout comme pour l’arboriculture.

 

 

La sécheresse frappe l’Algérie depuis cinq ans. Dans un graphe que vous avez publié sur Facebook, vous montrez que c’est l’année de la pire sécheresse depuis 1984, voire depuis 1907. Pourriez-vous nous donner plus de détails en chiffres ?

 

Depuis 2015, les hivers et printemps ont été très peu pluvieux en Algérie, à l’exception de la période novembre 2017 à avril 2018 où les précipitations  étaient supérieures aux moyennes.

Nous avons accumulé les déficits dans les recharges des sols, nappes et barrages qui ont été très sollicités tant pour l’irrigation que pour l’alimentation en eau potable.

Un mois par-ci, un mois par-là, ont été exceptionnels comme en novembre 2021 avec plus de 50 % des précipitations annuelles sur l’axe Alger-Médéa-Tizi-Ouzou avec 443/770mm à Alger, 355/780mm à Tizi-Ouzou et 320/ 700 mm à Médéa.

Ce type de précipitations, très élevées, donne l’illusion de bonnes recharges. En réalité, elles sont très localisées dans le temps d’une part et dans l’espace d’autre part. Celles de novembre 2021 se sont abattues sur le littoral centre sans effets sur les barrages de la région.

D’autres mois, d’hiver et de printemps peuvent être totalement secs, comme en décembre 2015, février 2020, mai 2017, 2020 et 2021 ou très faibles avec un ou deux jours de pluies seulement comme en décembre 2018 et 2022, janvier 2018 – 2021 et 2022, février 2017- 2022, mars 2017-2021 et 2023, avril 2015-2017-2021 et 2023. Les pluies des mois où la température s’élève sont peu efficaces et ont un rendement pratiquement nul.

Nous avons également eu des mois de mai avec des pluies exceptionnelles, équivalant à 3 ou plus de 4 fois la moyenne mensuelle  (50 mm) comme en 1998 avec 160 mm à Alger et 231 mm à Tizi-Ouzou.

Certaines années très sèches peuvent être suivies par une autre très pluvieuse comme en 2001/2002 (462 mm) et 2002/2003 avec 1.218 mm.

C’est-à- dire le caractère irrégulier des apports pluviométriques dans le temps et dans l’espace en Algérie. Leurs suivis et mesures sont d’une importance capitale pour comprendre et anticiper les situations d’abondance avec leurs lots d’inondations et de sécheresse.

 

Face à la sécheresse devenue endémique qui frappe l’Algérie ces dernières années, quelles sont les solutions à adopter pour économiser l’eau ?

 

L’eau quand elle est disponible est à préserver; avec en priorité tout faire pour assurer sa qualité, sa potabilité et la soustraire aux pollutions et contaminations surtout en période de sécheresse où elle est plus vulnérable tant dans le sous-sol que dans les réseaux de distribution.

L’économie de l’eau, par les restrictions qui sont déjà appliquées dans la distribution, s’impose dans les usages qui imposent des interdictions mais accompagnées de mesures d’équité pour avoir l’adhésion des usagers.

S’assurer que les schémas et conditions hydrauliques, avec des contrôles des pressions de l’eau et potabilité aux différents étages des réseaux, réservoirs et châteaux d’eau, permettent des arrivées de distributions adéquates et équitables.

La régularité des distributions rassure les usagers qui adoptent des utilisations raisonnées et sans gaspillages. L’installation de citernes et bâches à eau, ont induit des modes d’utilisation plus économes. “On ne gaspille pas sa réserve“; pourvu que la distribution soit régulière.

 

Il en est de même dans l’industrie et l’agriculture. Irriguer à partir de sa réserve impose des conduites plus économes en eau contrairement aux situations d’abondance.

 

En Algérie, des cultures gourmandes en eau comme la pastèque continuent d’être menées alors que l’eau se raréfie davantage. Faut-il interdire ou encadrer ce genre de cultures qui ne sont pas stratégiques ?

 

Les cultures stratégiques et l’arboriculture sont évidemment à préserver et à prioriser. Quant aux cultures spéculatives, il ne s’agit pas d’édicter des interdictions mais plutôt de les encadrer au cas par cas, utiliser des parcelles et techniques économes en eau et favoriser un traitement d’eaux non potables pour l’homme et les animaux par des procédés judicieux.

Pour revenir à la sécheresse, quelle est la situation aujourd’hui en Algérie ? Comment mesure-t-on la sécheresse ?

 

La sécheresse hydrique est le manque d’eau en premier dans les premiers horizons du sol en particulier en hiver et au printemps. Les sols sont desséchés et les plantes sont en situation de stress et dépassent leur point de flétrissement trop tôt en ce début mai 2023.

L’eau n’est pas disponible dans les cours d’eau, les barrages et dans les nappes souterraines mais aussi dans l’atmosphère ou l’humidité est faible. Tout cela sur de longues périodes qui rappellent l’été dans un pays comme le nôtre.

L’atmosphère, étant sèche et désaturée , demandera encore plus d’évaporation des milieux humides et de transpiration aux plantes, accentuera l’état physique de sécheresse.

On a recours aux nappes aquifères plus profondes pour assurer les apports minimum aux plantes, animaux et les populations.

Mais dans cette période où l’on s’achemine vers la saison sèche, habituellement de juin à octobre, les perspectives naturelles sont à plus de sécheresse.

Les nappes sollicitées n’ont pas été rechargées et s’abaissent de plus en plus. À cela s’ajoutent les déficits cumulés depuis au moins trois ans. Résultat, même les forages qui captaient les premiers niveaux d’eau sont dénoyés et sont à sec.

Il faut savoir que certains mois, comme novembre 2022 et janvier 2023 ont été très excédentaires dans certaines régions du pays. Ces eaux sont arrivées trop tôt et on aussi trop vite rejoint la mer comme dans les oueds Sebaou, El Harrach et autres. Il y a 200 millions de m3 d’eau qui ont été acheminées vers la mer par ces deux rivières en novembre et janvier derniers.

La solution du dessalement de l’eau de mer pour laquelle le gouvernement a opté est-elle suffisante pour faire face au manque d’eau en Algérie ? Ne faut-il pas une véritable politique de l’eau avec l’exploitation rationnelle des ressources disponibles ?

 

 

Le dessalement est un apport en eau indépendamment des précipitations. Cela contribue à avoir plus de ressources, c’est toujours bon à prendre.

Cela nécessite de mettre en place des installations de pompage de l’eau de mer (ou saumâtre au Sud), de traitement, de reminéralisation et de refoulement  vers les centres de distribution.

Ce sont des installations ou des usines industrielles qui sont à gérer en tant que telles avec une grande consommation d’énergie, de produits et de consommables, des entretiens et renouvellement des équipements. Cela nécessite beaucoup d’eau sachant que pour produire un volume d’eau on doit pomper le double d’eau de mer (45 à 50 % de rendement).

 

Leurs réalisations nécessitent du temps et des moyens. Celles qui sont programmées ou en cours ne seront pas au rendez-vous pour cet été.

Des politiques de l’eau pour l’inventaire dans le temps et l’espace, la mobilisation et l’exploitation des ressources disponibles existent.

Des organismes et structures dédiés à l’eau existent aussi. On gagnerait à l’implication de tous les acteurs, spécialistes et surtout les anciens du secteur, formés en Algérie et un peu partout dans le monde. Les problématiques seraient certainement mieux cernées et actualisées pour le bien de l’Algérie.

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