Société

« L’Algérie peut développer un nombre considérable de thérapies complémentaires »

Professeur en pédiatrie, médecin-chercheur, auteur et président de la Forem (Fondation nationale pour la promotion de la santé et du développement  en Algérie), Mostéfa Khiati vient de publier un nouvel ouvrage intitulé « Médecines Complémentaires », (Editions Loumi).

Dans cet entretien, il aborde avec nous le sujet des médecines alternatives, un domaine qui attire de plus en plus de malades en Algérie.

Les médecines alternatives ont-elles le vent en poupe en Algérie ?

Oui chez le grand public, il n’y a pratiquement pas un Algérien qui n’en consomme pas. La principale demande est axée sur la phytothérapie mais on voit de plus en plus de gens s’intéresser à la Hijama, cherchent du colostrum de chamelle, du miel pur…

Quelles sont les médecines complémentaires qui sont les plus utilisées chez nous ? (hijama, acupuncture, mésothérapie, reiki…) ?

Dans les pays développés, face à la demande de plus en plus grandissante, les États sont intervenus pour encadrer l’usage des médecines complémentaires, ils ont créé des formations universitaires pour le personnel médical et paramédical, ils ont rendu ses prestations admissibles au remboursement de la sécurité sociale, en partant du principe gagnant-gagnant.

Les produits coûtent peu chers, les consultations également et souvent les malades sont satisfaits par la médecine conventionnelle. Le laisser- faire comme c’est le cas en Algérie, fait que des ignorants s’accaparent ces secteurs de thérapies complémentaires et soient responsables d’intoxications par les plantes qu’ils ne connaissent pas ou transmettent des maladies par l’usage de la Hijama. Il est donc important que l’État intervienne pour organiser ce secteur.

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À quand remonte l’utilisation de la médecine traditionnelle chez nous ? Peut-on la considérer comme une médecine complémentaire par rapport à la médecine classique ?

Il est faux bien sûr de parler de médecine alternative ou de médecine de remplacement de la médecine conventionnelle.

Par contre, les médecines complémentaires comme leur appellation l’indique, constituent un volet complémentaire de la médecine conventionnelle, elles peuvent soulager davantage le malade, le rassurer sur le plan psychologique et lui procurer le bien-être dont il a besoin.

Tolérées, permises, ou interdites ?  Que dit la réglementation algérienne par rapport à ces médecines alternatives ?

La loi sanitaire de 2018 fait une impasse totale sur les médecines complémentaires, ce qui est dommageable pour le pays et pour le malade.  Il n’existe aujourd’hui aucune réglementation spécifique.

N’importe quel citoyen peut se présenter au service du registre de commerce et obtenir la possibilité d’ouverture d’un local de vente de plantes médicinales.

N’importe quel citoyen peut s’adonner à la Hijama sans être inquiété par qui que ce soit… La loi intervient seulement en aval lorsque le mal est fait, la personne peut poursuivre le vendeur pour empoisonnement !

Est-ce que la médecine traditionnelle peut guérir certaines maladies auxquelles la médecine classique n’a pas trouvé de remède ?

La médecine complémentaire peut intervenir comme médecine d’appoint dans de nombreuses maladies chroniques notamment dans le cancer. Dans la Covid-19, on a vu l’importance du zinc ou de la vitamine C.

Pour certaines pathologies, il est parfois plus rentable de lui faire appel et je citerai l’efficacité de l’acupuncture à la place des corticoïdes dans le traitement de la paralysie du trijumeau (paralysie faciale sans cause).

Les médecines alternatives sont parfois pratiquées par des charlatans qui profitent de la détresse morale des malades pour leur offrir leurs services et leur extorquer de l’argent. Que pensez-vous de ces pratiques ?

Le meilleur exemple dans le domaine est peut- être le fameux réseau de magasins ouvert il y a quelques années par un homme d’affaires omanais en Algérie. Ils commercialisaient des packs contenant de nombreux ingrédients notamment du miel, des amendes et d’autres produits inconnus.

Le pack était vendu à plus de 10.000 DA. Aucun des malades, questionné n’a signalé une amélioration de son état de santé, après avoir consommé ce produit.

Ce constat a malheureusement été fait même dans les pays développés. C’est pour cela qu’il faut encadrer l’exercice de ce type de thérapie.

La hijama est une pratique très répandue en Algérie. Beaucoup de guérisseurs continuent à l’utiliser sans aucun respect des règles d’hygiène les plus élémentaires. En quoi consiste cette méthode ? Depuis quand existe-t-elle ? A-t-elle fait ses preuves ?

La hijama aurait été inventée par les chinois. Elle représente l’un des points forts de la médecine chinoise. Avec le temps, son usage a changé d’un pays à l’autre.

Elle a notamment été codifiée par les médecins musulmans. Elle obéit à des règles strictes qu’il faut connaître.  Comme toute médecine alternative, elle a ses indications et ses contre-indications qu’il faut respecter.

Comme les autres thérapies complémentaires, son usage en Algérie n’est pas encadré et on assiste parfois à un usage répréhensible. Une étude réalisée il y a quelques années à Alger a montré que la moitié des personnes qui la pratiquent sont des coiffeurs.

Ces derniers respectaient plus ou moins l’hygiène, ce qui n’était pas le cas avec d’autres utilisateurs. Certaines études publiées montrent que cette thérapie a des avantages certains. Pour preuve, il n’y a qu’à voir certains médaillés olympiques qui la pratiquent.

Certains prestataires des médecines complémentaires deviennent parfois des dangers publics en demandant à des malades chroniques d’arrêter leurs médicaments : diabète, cancer…

On l’a vu avec le fameux produit « Rahmet rabi » où plusieurs malades ont été admis en urgence à l’hôpital pour déséquilibre sévère de leur diabète. Cet aspect devrait amener l’État à s’intéresser aux médecines complémentaires pour protéger le citoyen contre les abus.

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Un patient peut-il avoir recours aux deux médecines classique et traditionnelle en même temps, sans dégâts sur sa santé ?

Les malades chroniques en Occident reçoivent, à leur demande, les deux médecines simultanément : une douce pour atténuer, calmer, procurer plus de quiétude, et des antimitotiques dans le cancer par exemple qui sont efficaces sur la maladie mais engendrent des effets secondaires parfois assez désagréables.

Ce qui est important à savoir, c’est que le but n’est pas de remplacer une médecine par une autre mais de recourir toujours, en premier, à la médecine conventionnelle qui a fait ses preuves.

Lorsqu’il existe des symptômes désagréables qui accompagnent la maladie ou le traitement et qu’une thérapie complémentaire peut rendre service, il n’y a aucun problème à lui faire appel.

En Algérie, pratique-t-on ce genre de médecine (séances d’acupuncture, mésothérapie …) ? Si oui, est ce que les résultats sont positifs ?

Il y a certaines thérapies complémentaires qui sont pratiquées depuis des années, notamment l’acupuncture, la sophrologie, la hijama, l’homéopathie, la balnéothérapie, l’hydrothérapie,  l’apithérapie…

Je sais par exemple que le service des brûlés a utilisé du miel pour aider la peau à se cicatriser tout en évitant les infections. Leur usage est cependant assez discret, alors qu’elles peuvent rendre d’importants services, ce qui n’est pas normal.

Alors que l’Algérie dispose de potentialités énormes dans ce domaine, des citoyens vont à l’étranger pour chercher des médecines complémentaires.

Quelle est la frontière entre médecine moderne et médecine traditionnelle ?

 Il n’y a pas une ligne de démarcation mais plutôt un chevauchement entre les deux. Face aux maladies sérieuses, la médecine moderne doit intervenir en premier. Dans les maladies chroniques, certains symptômes peuvent être calmés ou traités par les thérapies complémentaires.

Pouvez-vous nous parler de l’hypnose : cette pratique est-elle considérée comme une médecine alternative ? Est-elle utilisée chez nous ? Est-ce efficace ?

L’hypnose est considérée comme une médecine complémentaire. Un médecin de mon service, lorsque j’étais à l’hôpital Zemirli, la pratiquait. On l’a essayé chez les asthmatiques sévères en crise, elle a donné de bons résultats car elle a aidé les malades à se rétablir rapidement sans recourir à des cocktails de médicaments.

Malheureusement c’était une expérience personnelle, aucune médecine complémentaire n’est utilisée en usage hospitalier faute d’un cadre d’exercice autorisé.

En Algérie est-ce qu’on forme des médecins à ces thérapies douces ?

Il n’existe pas de formation dans le domaine des médecines complémentaires, contrairement par exemple à la Tunisie où certaines thérapies complémentaires sont enseignées.

Mon livre est un plaidoyer en faveur de cette formation qui est devenue urgente.

Quelle place pour les médecines alternatives chez nous dans le futur ?

 L’Algérie dispose d’un potentiel énorme en phytothérapie. Elle compte un nombre appréciable de termes, peut développer un nombre considérable de thérapies complémentaires, créer des milliers d’emplois et exporter vers l’étranger.

À titre d’exemple, certaines huiles essentielles qu’on peut extraire facilement chez nous coûtent à l’étranger jusqu’à dix mille dollars le litre.

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