Après l’échec d’une première expérience, la production de betterave à sucre est à nouveau à l’ordre du jour en Algérie qui cherche à réduire ses importations en matières premières afin de renforcer sa souveraineté alimentaire.
Des essais ont eu lieu en 2022 à Biskra et à grande échelle à Ouargla. C’est au tour du groupe Cevital de se lancer dans l’aventure à Hassi El F’hel (El Menia). Cette initiative est loin d’être anecdotique, car Cevital est de loin le plus gros raffineur de sucre en Algérie.
C’est en janvier dernier que le PDG du Groupe Cevital, Malik Rebrab a annoncé le lancement en Algérie de tests préliminaires à la culture de betterave.
En juin, selon l’agence APS, lors de l’inauguration de la 54ᵉ édition de la Foire internationale d’Alger, le président de la République Abdelmadjid Tebboune a souligné la qualité de la betterave sucrière cultivée dans le Sud du pays.
À cette occasion, Kamel Moula, le président du Conseil du renouveau économique algérien (CREA) avait présenté un projet de production du sucre en Algérie à partir de betterave à sucre.
Des betteraves à sucre à Hassi El F’hel
Est-ce dire que, comme l’Égypte ou son voisin marocain, l’Algérie va produire à l’avenir une partie du sucre consommée localement ?
Deux mois après le semis, la parcelle implantée par Cevital sous pivot d’irrigation à Hassi El F’hel présente un aspect verdoyant. Les plants les plus avancés sont de belle taille et les quelques racines déterrées lors d’un récent reportage de la Télévision Algérienne montrent une belle croissance.
La parcelle présente quelques disparitions de pieds, ce qui fait dire à l’analyste économique Houari Tikhrassi : « La maîtrise de la technologie est un aspect important pour la réussite de ce produit. »
Pour l’expert qui s’exprimait sur la Télévision Algérienne, « l’expérience s’avère encourageante suite au travail des techniciens. Au bout de 2 mois de culture, l’expérience est positive tant du point de vue de l’état des plants de betterave que des perspectives en matière de richesse du sol et richesse en eau. »
Une eau qui, dans la région, il y a une vingtaine d’années, affleurait en surface, mais qu’il faut aujourd’hui pomper à 60 mètres de profondeur, selon les témoignages d’investisseurs locaux.
Ouargla : 60.000 tonnes de betteraves en 2020
Hassi El F’hel n’est pas la seule région potentiellement productrice de betteraves à sucre en Algérie. C’est également le cas de la daïra de Hassi Messaoud (Ouargla) où comme le note l’agence APS, dès 2019 ont été produites « 3.600 tonnes de betterave sur 60 ha et 60.000 tonnes sur 800 ha durant l’année 2020 ». Une production de la société d’investissement Al-Filaha-Atlas, fruit d’un partenariat privé algéro-turc.
Attribuée dans le cadre d’une concession agricole pour une durée de 40 ans, l’exploitation compte 11.000 hectares à Gassi Touil. Les betteraves ont été implantées au niveau de la première tranche de 1.000 hectares et équipées de 21 pivots. Al-Filaha-Atlas dispose d’une large expérience agricole à l’étranger.
L’entreprise ne s’est pas contentée de mini-parcelles d’essais, la plantation de betterave a été réalisée sur plusieurs dizaines d’hectares. Outre des semoirs spécifiques, l’entreprise a réalisé une première en utilisant du matériel agricole jusque-là inconnu en Algérie comme une arracheuse-chargeuse Grimme secondée par des remorques agricoles Turquagro à double essieux et vérin hydraulique.
Cependant, faute d’usine locale de transformation, les betteraves récoltées ont été vendues à des élevages laitiers.
Raffiner les betteraves au plus proche
En juin 2022, le quotidien El Watan relatait les résultats obtenus par l’Institut technique de développement de l’agronomie saharienne (ITDAS) d’Ain Bennaoui (Biskra) : des rendements de 80 à 120 t/ha avec des taux de sucre compris entre 19 à 23 %, selon les 4 variétés testées.
Des taux de sucre particulièrement élevés, mais qui diminuent rapidement en cas de retard entre l’arrachage et l’arrivée à l’usine de transformation.
Un problème récurrent dans les années 1970-1980 dans le cas des betteraves cultivées à Khemis Miliana. Des taux de sucre en dessous de 16 % avaient été la cause de sévères réfactions se traduisant par de lourdes pertes financières pour les fermes d’État, alors seules productrices de betteraves à sucre en Algérie.
En 1987, l’agronome Pérennès Jean-Jacques, auteur d’une étude détaillée sur la question, notait que « la dégradation est souvent due aux lenteurs de ramassage et de transport (manque de camions), lenteurs auxquelles les producteurs assistent impuissants. » Le parc de camions disponible actuellement sur le territoire national devrait permettre de ne plus revivre ce genre de situation.
La question du transport se pose également en Égypte où les camions qui apportent les betteraves à la raffinerie géante de Al Minya du joint-venture égypto-émirati Canal Sugar parcourent jusqu’à 40 km.
Betterave à sucre en Algérie : ne pas rééditer l’échec de Khemis Miliana
Inaugurée en 2021, l’usine de Menia vise une production annuelle de 900.000 tonnes de sucre.
À Biskra dans le Sud-Est algérien, Houari Tikhrassi déclare s’attendre à « de futures annonces en matière d’investissement local concernant la transformation de la betterave. »
En 1967, la construction d’une usine de transformation de betterave d’une capacité de 150.000 tonnes à Khemis Miliana a permis de lancer cette culture en Algérie avec en 1979 plus de 58.000 tonnes de betteraves transformées.
Ces quantités ont décru avec 34.000 tonnes en 1982 et seulement 26.000 t en 1983. À la fin des années 1970 a été adjointe à l’usine une raffinerie de sucre roux importé qui a produit en 1979 plus de 33.00 tonnes de sucre, 56.000 t en 1982 et 63.000 t en 1983.
Implanter une usine de transformation de betterave à sucre implique un choix judicieux de l’emplacement, d’autant plus que ce type d’installation ne fonctionne que 100 jours par an, ce qui réduit considérablement sa rentabilité.
Selon le retour d’expérience réalisé par Pérennès Jean-Jacques, la conduite de la culture de betterave à sucre a largement échappé aux fermes d’État de l’époque.
Les producteurs étant « réduits à des prestations de main-d’œuvre banale (transport des rampes d’irrigation, démariage), mais lourdes en temps de travail. »
Chose qui n’a pas permis de favoriser l’acquisition des savoir-faire. Plus grave, la rémunération des travaux de semis et récolte réalisés par un organisme public local était « directement prélevée sur le produit brut de la récolte, grevant lourdement la rémunération des producteurs. »
En dessous de 30 tonnes/ha, le produit brut de la récolte (achetée 270 DA la tonne en 1983) ne couvrait pas les charges. Il conclut : « Cette culture, qui leur est imposée par le plan national, est donc pour beaucoup synonyme de déficit inévitable ». Quant à l’accueil réservé par le secteur privé, « après une brève tentative, [il] a totalement laissé cette spéculation au secteur étatique. »
Pour les investisseurs, le défi est multiple : localiser leur usine de transformation de betterave dans une zone agricole assurant une disponibilité suffisante en eau, importer le matériel spécifique de semis et de récolte ainsi que rémunérer suffisamment les agriculteurs pour les intéresser à cette nouvelle culture.
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