Ce que tout le monde pensait tout bas, d’anciens responsables le disent maintenant tout haut : il y a du piston dans l’embauche dans le secteur public.
Après l’ex-PDG d’Air Algérie, Wahid Bouabdallah, un autre ancien dirigeant d’une grande entreprise publique reconnait solennellement que le recrutement n’obéit pas qu’aux critères de compétence et d’aptitude fixés par la réglementation.
Abdelmadjid Attar, ancien PDG de la compagnie pétrolière nationale, le dit sans ambages dans une interview à TSA Direct : « Il y a beaucoup d’employés qui sont recrutés par piston à Sonatrach. »
Les griefs de M. Attar sont d’autant plus crédibles qu’il ne s’en lave pas les mains. Cette pratique, reconnait-il, avait déjà cours quand il était lui-même à la tête de la compagnie.
Cette sortie intervient quelques jours après celle, incompréhensible du reste, d’un jeune cadre qui a lâché tout fier sur un plateau de télévision qu’il a été recruté à Sonatrach grâce à l’intervention d’un proche, poussant l’audace jusqu’à nommer la personne qui a outrepassé les lois pour lui faire une place dans l’entreprise la plus prisée du pays : Mohamed-Amine Mazouzi, PDG de la compagnie entre 2015 et 2017. Celui-ci lui aurait même proposé le poste de conseiller, alors que, de l’aveu de ce jeune visiblement bien né, il n’en avait pas les attributs.
Depuis quelques années, les langues commencent à se délier concernant les passe-droits dans le recrutement dans le secteur public. En janvier 2015, le Collectif contre la cherté des transports vers l’Algérie (CCTA) avait rendu publique une longue liste d’enfants et de proches de hauts responsables employés dans différentes structures d’Air Algérie, notamment à l’étranger. La direction de la compagnie avait dû reconnaître que les personnes citées faisaient partie de ses effectifs, même si son PDG d’alors, Mohamed-Salah Boultif, avait préféré parler de « coïncidence », sans trop convaincre.
En novembre 2017, Wahid Bouabdallah, qui a dirigé l’entreprise entre 2008 et 2011, jette un véritable pavé dans la mare en reconnaissant publiquement avoir lui-même engagé des personnes en dehors des voies réglementaires.
« Aucun Algérien ne voudrait me croire si je disais qu’il n’y a pas de favoritisme dans la compagnie. Mais je suis moi-même un père de famille, et si je peux intervenir au profit de mon fils, pour qu’il puisse disposer d’un poste de travail, je le ferais. Tout le monde intervient".
En décembre 2017, c’est le directeur général d’Algérie Poste, Abdelkrim Dahmani, qui met en garde, dans un courrier interne et fuité dans la presse, les responsables locaux de l’entreprise contre le favoritisme dans l’embauche, après avoir eu vent que les recrutements se faisaient sur « recommandation ».
Tous ces aveux n’avaient suscité aucune réaction, mise à part l’indignation de l’opinion publique devant la banalisation d’une pratique immorale.
Sans doute qu’il en a toujours été ainsi et pas que chez le géant pétrolier national, Air Algérie ou Algérie Poste. Le favoritisme dans le recrutement et même dans l’octroi des marchés gangrène tout le secteur public économique et l’administration publique, c’est presque un secret de Polichinelle. Beaucoup d’Algériens sont même convaincus que rien ne peut être obtenu sans un coup de pouce de la part d’un ami, d’un proche ou d’un facilitateur au bras long.
Plus grave, Abdelmadjid Attar explique que cela n’est pas le fait de dirigeants peu scrupuleux, mais la résultante d’un système qui ne laisse que peu de choix aux managers : marcher ou se faire attendre « au tournant ». « Le PDG ne peut pas tout contrôler. Lui aussi est sollicité. Et quand il ne rend pas service, il est attendu au tournant ».
Plus qu’un mea culpa qui lève le voile sur une pratique qui tombe en principe sous le coup de la loi, la déclaration de M. Attar révèle aussi les conséquences désastreuses de cette dérive sur la trésorerie des entreprises du secteur public à cause du sureffectif qui en découle. « Il y a un sureffectif à Sonatrach qui n’est pas utilisé. Il y a du social. Tous les recrutements dans le sud c’est du social », assure-t-il.
Soit la même situation que vit Air Algérie qui croule sous une masse salariale de plus en plus grandissante. Le 12 du mois en cours, son PDG Bekkouche Allèche avait annoncé le gel du recrutement de pilotes, reconnaissant que la compagnie avait un problème de sureffectif.
Du temps où il était Premier ministre, Abdelmalek Sellal avait parlé de 9500 employés à Air Algérie alors que ses différents services n’en avaient besoin que de 3500, soit 6000 de plus. C’est le corollaire du recrutement de complaisance. De hauts responsables le reconnaissent, mais qui osera bousculer l’ordre établi ?