Ramtane Lamamra et Lakhdar Brahimi risquent de s’avérer des boulets supplémentaires pour le pouvoir qu’ils sont venus sauver en catastrophe. Le rappel de ces deux diplomates est plus qu’une erreur de casting. C’est le résultat d’une fausse évaluation de la situation et l’expression du peu de cas qui est fait de l’avis de la rue.
C’est dans l’ADN du pouvoir algérien, seul compte ce que pourraient penser les capitales étrangères, d’où la propulsion au-devant de la scène, en pleine révolte interne, de deux personnalités qui ont l’habitude de voyager et de rencontrer des acteurs internationaux.
Lamamra et Brahimi pourraient être utiles dans ce registre : expliquer à nos partenaires les plans de sortie de crise du pouvoir en place, sans plus. Ceux qui pensent qu’ils peuvent avoir une influence sur les positions des grandes puissances se trompent. Les deux hommes n’ont pas l’influence que les relais du pouvoir et la rumeur leur prêtent. Ni Brahimi ni Lamamra n’appellent les chefs d’État directement sur le téléphone.
Sur le front interne, on doute fort qu’ils puissent être de quelque secours. Même s’il défend d’être investi de quelque mission, Lakhdar Brahimi multiplie les sorties médiatiques et les contacts en catimini avec des acteurs politiques, mais le succès auquel il pouvait s’attendre n’était pas toujours au rendez-vous.
Les démentis en cascade de ses rencontres, vraies ou supposées, avec des acteurs de l’opposition démontrent bien que la cote de l’homme dans l’opinion publique n’est pas à son plus haut. Personne ne souhaite s’afficher en sa compagnie et ça se comprend.
La dernière fonction officielle de Brahimi en Algérie remonte au début des années 1990, lorsqu’il fut ministre des affaires étrangères entre 1991 et 1993. Depuis, il a mené diverses missions de paix pour le compte de l’ONU aux quatre coins de la planète et ses rares visites en Algérie ne furent pas toujours pour la bonne cause. C’est lui en effet que le président Bouteflika a l’habitude de recevoir devant les caméras de la télévision à chaque fois que les rumeurs les plus folles sur son état de santé sont colportées. Voilà à peu près tout ce que connaît du diplomate la nouvelle génération, celle-là même qui bat le pavé chaque vendredi.
Sur les chaînes de télé où il a été invité au moins à deux reprises la semaine passée, il a étalé tout son déphasage avec les réalités algériennes. Les téléspectateurs ont découvert ahuris qu’il ne parle même pas le langage local – il s’exprime en dialecte jordanien. Sur el Dajaziria One, il a été mis très mal à l’aise lorsqu’un jeune lui a rappelé des propos surréalistes qu’il a tenus il y a seulement trois mois : « personne en Algérie ne conteste vraiment Bouteflika ».
Lakhdar Brahimi n’est assurément pas le meilleur avocat pour la cause déjà indéfendable du cinquième mandat. Tout comme Ramtane Lamamra. L’opinion nationale ne retient pas grand-chose de son passage à la tête de la diplomatie entre 2013 et 2017, sauf qu’il en est sorti par la plus petite des portes lors du remaniement du 25 mai 2017.
En 2014, on a assisté à un petit cafouillage de la communication officielle sur ses prérogatives et celles d’Abdelkader Messahel, nommé ministre des Affaires maghrébines, africaines et de la Ligue arabe. En 2017, Messahel aura tout pour lui et Lamamra prié de retourner à ses périples africains. Comme les autres ministres limogés sous Bouteflika, il n’a même pas droit à un coup de téléphone de la présidence.
Rappelé par Bouteflika en pleine contestation du cinquième mandat pour occuper le poste de conseiller diplomatique à la présidence, il accepte de revenir sans rechigner. Lundi 11 mars, Bouteflika annonce une nouvelle feuille de route, renonce au cinquième mandat et reporte la présidentielle. Il nomme aussi un nouveau gouvernement dans lequel Lamamra est désigné vice-Premier ministre, un poste créé le jour même. Mais pour remplacer Ouyahia à la tête de l’exécutif, on préfère Nouredine Bedoui, un proche du cercle présidentiel. Une question de confiance d’abord. Ramtane Lamamra doit se contenter d’un second rôle.
Le soir même de sa nomination, il commet une première bourde qui trahit les véritables motivations de son retour aux affaires et le souci réel des dirigeants algériens dans cette période de crise : il accorde sa première interview à une radio française. S’il est rappelé, c’est avant tout pour son long vécu de diplomate et ses talents supposés de communicateur.
En deux jours dans son nouveau poste, il a fait trois sorties médiatiques et on ne peut pas dire qu’il a tiré son épingle du jeu. Sa prestation aux côtés de Noureddine Bedoui jeudi 14 mars reste un parfait exemple du degré zéro de la communication. Elle rappelle aussi combien sont indéfendables les choix actuels du pouvoir.