Mardi soir, Emmanuel Macron s’est rendu à l’iftar organisé par le Conseil français du culte musulman (CFCM). Une première pour un président français depuis la création de ce rendez-vous annuel en 2008. « Sa présence est déjà un acte fort et symbolique. C’est une marque de respect pour les musulmans de France, une reconnaissance de leur pratique religieuse », se félicite Anouar Kbibech, président du CFCM, interrogé par TSA.
Apaisement
Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait répondu positivement à l’appel lancé par le CFCM pour rencontrer les principaux candidats (à l’exception de Marine Le Pen) et les sensibiliser aux thématiques qui interrogent la communauté musulmane.
Dans une interview accordée à TSA quelques jours avant le premier tour, Anouar Kbibech avait salué cet échange. « Emmanuel Macron a une conception de la laïcité apaisée. Il a réaffirmé son attachement à une laïcité qui garantit la liberté de croire ou ne pas croire, et qui protège le libre exercice du culte dans le respect des lois de la République », détaillait le président de l’institution qui quittera ses fonctions le 1er juillet. Au second tour de l’élection, le CFCM -comme les autres représentants religieux- avaient clairement appelé à voter pour le candidat d’En Marche !.
Discret sur le sujet électrique de l’islam de France pendant sa campagne, refusant de tomber dans « l’hystérisation », Emmanuel Macron, désormais président de la République, a souhaité mardi soir faire passer un message à la communauté musulmane.
Il a d’abord salué le rôle du CFCM et rendu hommage à Anouar Kbibech dont le mandat a été « marqué par les terribles attaques terroristes ». « Des attaques », a indiqué le chef de l’État qui avaient pour objectif de « créer entre les Français de toute croyance et les Français de confession musulmane une déchirure profonde ». Ces attentats furent « la tentative explicite de donner de l’islam l’image d’une religion cautionnant le meurtre et la terreur au nom d’idéaux fanatiques », a insisté Emmanuel Macron.
Dans ce contexte, « pas une fois, le CFCM n’a fait défaut » pour condamner ces crimes. « Grâce à vous, ce combat pour maintenir l’unité nationale a été remporté et nous avons su tenir collectivement la voix de la raison ». Cette attitude, par ailleurs, « doit être celle de tous les acteurs (de l’islam) sur le territoire », a précisé Emmanuel Macron.
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Bataille commune contre le terrorisme
Si la présence d’Emmanuel Macron à la cérémonie de l’iftar est par elle-même un acte fort pour les musulmans de France, la teneur du discours du président est aussi un appel ferme à la communauté.
Ainsi, le président français demande aux acteurs cultuels représentés par le CFCM de mener « des combats » avec l’État pour lutter contre le terrorisme. « Le premier combat, c’est le combat contre le fanatisme et sa diffusion ».
Si l’État est présent, « la République vous aidera dans cette tâche dès qu’il conviendra de prendre des mesures coercitives pour que cessent ces détournements », a affirmé Emmanuel Macron, mais elle ne peut se substituer à vous sur le terrain théologique et religieux à votre indispensable travail.
Lutte contre un islam non compatible avec la République
« Le deuxième combat qui sera le nôtre doit se porter contre une pratique de l’islam organisant une ségrégation au sein de la République », a-t-il ajouté, se gardant néanmoins de désigner en particulier un courant religieux. Il invite ainsi à la vigilance contre « tout ce qui façonne des formes de repli identitaire », en expliquant que « fonder son identité politique et sociale sur sa seule foi, c’est au fond admettre que sa foi n’est pas compatible avec la République ».
Sur ce point, le CFCM a rendu public fin mars sa « charte de l’imam » qui « confirme l’attachement des imams de France à l’islam du juste milieu et au pacte républicain », indiquait alors l’institution qui regroupe les principales fédérations de mosquées.
Ce document a pour but d’aider les mosquées à mieux lutter contre les discours radicaux. Toutefois, la publication de la charte ne faisait manifestement pas l’unanimité puisque à l’époque, cinq grandes fédérations de mosquées, pourtant parties prenantes dans les consultations du CFCM, avaient critiqué le fait qu’un projet « encore en cours d’élaboration au sein du bureau du CFCM » ait été rendu public…
Macron veut des imams formés en France
Et, dans ce contexte, l’épineuse question de la formation des imams en France demeure. « Il importe de former les imams sur le sol français et de façon adaptée aux valeurs de la République. Il n’est plus possible de se contenter aujourd’hui d’un appel massif à des imams formés dans des pays tiers. Je vous demande instamment de vous engager pleinement dans ce combat », a déclaré Emmanuel Macron.
Le nouveau président français veut donc mettre un terme à « l’islam consulaire » dont la France peine à se défaire. En mettant à disposition des imams détachés en France, l’Algérie, le Maroc ou la Turquie conservent ainsi une emprise sur l’islam hexagonal. « Seuls 20% à 30% d’entre eux sont de nationalité française, 301 imams étant détachés en France et salariés par leur État d’origine (30 Marocains, 120 Algériens, 151 Turcs) », rappelait le journal Le Monde en août 2016.
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Le CFCM doit élargir sa représentativité
Autre chemin de croix, le président français a abordé la question de la représentation de la communauté musulmane française. Alors que le chef de l’État insiste sur la nécessité que le CFCM obtienne une « représentativité toujours plus large », -un chantier sur lequel l’institution travaille, assure à TSA Anouar Kbibech- cette problématique demeure un frein.
Si les musulmans de France ne parviennent pas à s’identifier au CFCM, c’est précisément parce que cet organisme repose uniquement sur la question religieuse. « Ce qui fait défaut, c’est une expression intellectuelle, il faut parvenir à transcender les appartenances », analysait pour TSA, il y a quelques semaines, Bernard Godard, un ancien des renseignements généraux, spécialiste de l’islam en France.
À cela, il faut également ajouter le fait que la création d’une Fondation de l’islam de France, qui doit contribuer à mieux faire connaître la religion et la civilisation musulmanes, est vivement contestée.