CONTRIBUTION.Le peuple algérien a prouvé à la terre entière qu’il était doté d’une maturité politique exceptionnelle et qu’il était déterminé à demander le départ des 3B (Abdelkader Bensalah, Président du Conseil de la nation et Président de la République par intérim ; Noureddine Bedoui, Chef du gouvernement ; Tayeb Belaiz, Président du Conseil Constitutionnel), symboles du régime autocratique, qui tentent par différents subterfuges (main de l’extérieur, retour des islamistes et du terrorisme), de continuer à vouloir infantiliser le peuple algérien.
Ces tactiques mesquines ont au contraire renforcé le réveil des algériens qui n’ont plus peur car c’est leur dignité qui est en jeu. Il n’y aura pas de renoncement. Le peuple s’est engagé pour une véritable démocratie avec un changement inéluctable de régime à court terme et de système à moyen terme. L’objectif est clair et les embuches sont nombreuses. L’armée, acteur arbitre de la situation, doit se ranger définitivement aux côtés de son peuple qui ne demande qu’à construire une nouvelle Algérie plus propre et plus humaine.
L’armée face au peuple algérien
Depuis de nombreuses semaines, les Algériens descendent par millions dans la rue pour demander le départ des anciens caciques du régime, en particulier les 3B, pour reconstruire un nouveau régime avec de nouveaux acteurs. Ne pas écouter le peuple est suicidaire car c’est une forme de rupture avec l’esprit et le contenu de la constitution algérienne. C’est pourquoi il est urgent de revenir à une légalité républicaine qui permettra de mettre fin à ce régime autocratique. La seconde république ne peut voir le jour avec le même personnel politique. Il faut impérativement réformer le système en profondeur en particulier par l’arrivée de jeunes dans toutes les sphères de la société et en particulier au sein des plus hautes instances du pouvoir.
Dans cette délicate transition démocratique, où les caciques du régime font de la résistance, le peuple souhaite ardemment que l’armée l’accompagne. Les hésitations et cafouillages de ces derniers jours, où l’armée semble se limiter à une lecture figée de la constitution, sous-tend une volonté de maintenir le régime avec ses acteurs qui font pression sur l’institution militaire pour maintenir un statu quo.
La question qui se pose est de savoir pourquoi ces caciques du régime s’acharnent à rester au pouvoir alors que le peuple les rejette massivement, par millions. La réponse est double. D’abord parce que « la soupe est bonne » depuis de nombreuses années et surtout parce qu’il existe une forte peur d’être jugé d’une manière transparente dans cette nouvelle république qui est déjà en marche. Si l’armée maintient le régime en place, c’est permettre à certains caciques du régime d’assurer leur immunité et de ne pas répondre pour beaucoup à leurs implications et à celle de leurs proches dans des malversations de grandes ampleurs.
Le coût de la corruption en Algérie peut être évalué à près de quinze milliards de dollars par an. Cela représente près de 30% des recettes annuelles globales de l’Algérie. Le peuple algérien est conscient de ce principal fléau qui a gangréné toutes les strates de la société algérienne. Face à ce poison, le peuple est dans l’attente d’un soutien franc et déterminé de son armée dans une lutte sans complaisance qui passera inéluctablement par la chute de ce régime.
La problématique se complexifie parce qu’un certain nombre de hauts cadres de l’armée ont été également impliqués dans des scandales de corruption avec la complicité de caciques du régime. L’équation à résoudre devient délicate car les protagonistes issus de la bourgeoisie technocratique, industrielle et commerciale et celle de l’armée se confondent dans un jeu d’acteurs où chacun à un intérêt à couvrir l’autre.
L’armée garante du respect de la constitution
L’armée, par la représentation de son chef d’Etat-major, doit assainir les rapports entre les acteurs en présence en éliminant les caciques du régime qui sont les principaux instigateurs de l’anesthésie de l’Algérie. Le temps presse. D’abord pour l’image de l’armée qui risque de se dégrader si le régime est maintenu par l’institution militaire. La stratégie de fuite en avant des tenants du pouvoir (tout acteur confondu) est une erreur d’appréciation grossière et très risquée. Plus le temps passe et plus les dérives, y compris violentes, seront à craindre.
Personne ne sera épargné. Le peuple ne peut plus revenir en arrière et les tenants du pouvoir devraient le savoir au lieu de s’entêter à se maintenir ou à se présenter comme les nouveaux chantres de la seconde république algérienne alors qu’ils en ont été les plus farouches adversaires. Le peuple algérien lucide est déjà très regardant sur ces convertis de la dernière heure qui tentent de noyer cette révolution algérienne.
L’armée ne peut plus être caution de ce régime au risque de perdre définitivement sa crédibilité auprès du peuple. La position du Général Gaid Salah, chef d’Etat-major, semble difficile à cerner. D’un côté il affirme s’être rangé au côté du peuple mais de l’autre il s’enferme dans une posture en apparence légaliste avec le maintien des anciens caciques du régime contre lesquels des millions de personnes descendent chaque vendredi pour exiger leur départ immédiat.
Le cœur de la Constitution algérienne est consacré à la primauté du peuple. Le chef d’Etat major le sait et c’est pourquoi sa position sera difficile à tenir. Précisément, en maintenant les mêmes hommes au sein des institutions, le Chef d’Etat major se trompe sur l’esprit et le contenu de la constitution. Celle-ci consacre le peuple souverain de tout pouvoir comme le confirme l’article 7 : « Le peuple est la source de tout pouvoir. La souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple ».
Cette obstination à maintenir les mêmes représentants peut être assimilée à un détournement de pouvoir dans la mesure où la constitution est très claire : « Le peuple choisit librement ses représentants ».(Article 11 de la Constitution).
L’Etat-major a, dans un premier temps, pris position pour un 5e mandat du Président Bouteflika avec un discours autoritaire. Face au rapport de force, au profit des masses qui s’aggloméraient d’une manière croissante chaque vendredi, l’armée a infléchi sa position et s’est rangée officiellement aux côtés du peuple.
Paradoxalement, depuis quelques jours, le Chef d’Etat-major semble vouloir neutraliser l’esprit revendicateur du peuple et sa volonté de faire chuter le régime par une lecture scripturale de la constitution dénaturant son esprit et son contenu global. Sa posture ne peut plus être ambivalente et doit être définitivement du côté du peuple conformément à la constitution et en dehors de toute ingérence politique lui permettant de garder une certaine crédibilité. Dans le cas contraire, tous les risques sont possibles.
En d’autres termes, la position de l’armée doit être aujourd’hui clairement établie. Souhaite-t-elle accompagner la transition démocratique, qui ne peut que passer par la chute du régime, ou alors maintenir ce régime autocratique ?
Gaid Salah dispose de deux options principales :
– La première et la plus sage est de revenir d’une manière non sélective à l’esprit et au contenu de la constitution en mettant fin le plus rapidement possible aux fonctions des 3B pour aller vers une véritable transition démocratique.
– La seconde est de maintenir le régime en place avec quelques miettes de concessions qui lui permettra de se maintenir mais à terme, sa position sera jugée par le peuple qui sera très regardant sur son parcours et son attitude durant ces évènements.
Tout est encore possible pour lui, il suffit qu’il se range concrètement du côté du peuple, comme il l’a affirmé, pour assurer la fin du régime autocratique, le début d’une seconde république et la disparition d’un système qui a pollué l’Algérie.
De Bouteflika à Gaid Salah
Abdelaziz Bouteflika aurait pu être un grand Président en se limitant à deux mandats et en impulsant un véritable projet pour l’Algérie. Mais il est passé à côté de l’Histoire. Se limitant à une économie de rente et quelques réalisations d’infrastructures, il a travesti la république algérienne en se l’accaparant, en modifiant la constitution en 2008 pour se construire un mandat à vie. Son règne a fait exploser le clientélisme, la corruption et neutralisé l’entrée de l’Algérie dans le concert des nations démocratiques.
Sa postulation à un 5e mandat fut perçue par les algériens comme un affront, une ultime humiliation. Il restera dans les annales de l’histoire algérienne comme un Président rejeté par son peuple, n’ayant pas eu le sens de la mesure et la vision stratégique pour son pays.
Finalement Abdelaziz Bouteflika n’a pas compris, et peut-être pas assez aimé son peuple, ce peuple qui avait tant enduré pendant le joug colonial français de 132 ans puis la décennie noire et qui ne demandait qu’à exister dignement dans un pays où la fierté, socle de l’identité algérienne n’est toujours pas un vain mot.
Aujourd’hui, Gaid Salah, Chef d’Etat-major des armées, est à la croisée des chemins soit il accepte de soutenir véritablement son peuple, comme il l’a affirmé, en accompagnant la transition démocratique et s’il se tient à cet objectif vital pour l’Algérie, il en ressortira grandit dans la mémoire algérienne. Il restera avec l’image d’un grand Chef d’Etat-major qui en fin de carrière aura su s’asseoir au seuil des enjeux réels de l’Algérie en accompagnant pacifiquement l’avènement de sa seconde république. Par cet engagement courageux, il permettra au peuple algérien de recouvrer la liberté de son destin, sa véritable dignité et se démarquera radicalement de l’exemple de l’ex Président Bouteflika. Dans le cas contraire, s’il reste sourd aux revendications du peuple, les risques seront transversaux et nombreux et il en sera le principal responsable avec toutes les conséquences qui peuvent en découler.
J’ai encore envie de croire à la première option, comme des millions d’Algériens, même si l’étau se resserre de jour en jour. Les prochaines semaines seront décisives car le pouvoir va réagir à la pression, toujours plus forte, du peuple. Soit le régime s’effondre et la voie sera ouverte pour une véritable seconde république. Soit le régime se maintient et les dégâts seront alors nombreux. Quelle que soit l’option, le peuple algérien continuera à manifester pacifiquement, à écarter les manœuvres du pouvoir dans un esprit de ferveur sans précédent car il sait qu’il est dans son droit, qu’il gagnera ce combat à terme car l’Etat, les institutions, l’essence même de la nation algérienne, c’est lui qui en constitue la principale source :
« L’Etat puise sa légitimité et sa raison d’être dans la volonté du peuple. Sa devise est « Par le peuple et pour le peuple ». Il est au service exclusif du peuple. » (article 12 de la Constitution) et non le contraire.