Les observateurs s’étaient perdus en conjectures sur ce qui se passait en haut lieu et les intentions des uns et des autres depuis la sortie du chef d’état-major de l’ANP demandant l’application de l’article 102 de la constitution, synonyme de démission ou de destitution du président Bouteflika.
Ce samedi 30 mars, un début d’éclairage est venu de là où personne ne l’attendait : de la haute hiérarchie de l’ANP. Au lendemain d’une énième journée de grande mobilisation populaire contre le système, Ahmed Gaïd-Salah a jugé nécessaire de prendre à nouveau à témoin l’opinion nationale et d’apporter une précision de taille par rapport à sa sortie du 26 mars, à savoir qu’il n’agissait pas de son propre chef mais au nom de toute l’institution qu’il dirige.
Le communiqué dans lequel il s’est expliqué ce samedi sur la situation du pays sanctionnait en effet une réunion tenue au siège de l’état-major de l’ANP « dans le cadre de l’évaluation du bilan global de l’ANP en général, et l’étude des développements de la situation politique prévalant dans notre pays, suite à la proposition de mise en œuvre de l’article 102 de la constitution, en particulier » et en présence, en plus du vice-ministre de la Défense et chef d’état-major, des commandants de forces, du commandant de la 1ère Région et du secrétaire général du MDN.
La situation du pays étant d’une gravité qui ne peut s’accommoder des insinuations et des sous-entendus, le communiqué « urgent » de l’armée va droit au but.
Il apporte une réponse directe aux manifestants qui, vendredi, ne se sont pas opposés au recours de l’article 102, donc à la destitution de Bouteflika, mais exigé l’application aussi des articles consacrant la souveraineté du peuple.
Ce qui équivaut à une transition qui garantit la remise du pouvoir au peuple, donc non contrôlée par les institutions actuelles. « A la lumière de ces développements, la position de l’ANP demeure immuable, dans la mesure où elle s’inscrit constamment dans le cadre de la légalité constitutionnelle et place les intérêts du peuple algérien au-dessus de toute autre considération, en estimant toujours que la solution de crise ne peut être envisagée qu’à travers l’activation des articles 7, 8 et 102 ».
L’article 7 est d’une limpide clarté : « Le peuple est la source de tout pouvoir. La souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple. » L’article 8 aussi : « Le pouvoir constituant appartient au peuple. Le peuple exerce sa souveraineté par l’intermédiaire des institutions qu’il se donne.
Le peuple l’exerce aussi par voie de référendum et par l’intermédiaire de ses représentants élus.
Le Président de la République peut directement recourir à l’expression de la volonté du peuple. »
Dans la forme, la sortie du MDN est un simple rappel de la vision de l’armée, mais dans la conjoncture actuelle, elle ressemble à engagement solennel que la solution telle que préconisée, ne sera pas une manœuvre qui videra de sa substance la revendication du peuple.
Doit-on comprendre qu’Abdelkader Bensalah, le président du Sénat dont personne ne veut comme intérimaire, et le gouvernement actuel, n’hériteront pas de la transition ?
Le peuple est intransigeant là-dessus, mais le MDN ne précise pas comment satisfaire une telle revendication sans sortir du cadre constitutionnel. Ce n’est pas de son ressort certes, mais peut-être aussi que ce n’est pas le moment d’assumer pleinement la prise en charge d’une sortie de crise.
Ce samedi, l’armée a fait un pas supplémentaire dans ce sens. En attendant la prochaine étape, elle tient à clarifier les choses d’abord, faisant au passage une mise en garde musclée qui lève le voile, pas totalement certes, sur les manœuvres en cours pour peser sur la transition. La mise en garde est adressée à « des certaines parties malintentionnées » qui « s’affairent à préparer un plan visant à porter atteinte à la crédibilité de l’ANP et à contourner les revendications légitimes du peuple ».
« En date du 30 mars 2019, une réunion a été tenue par des individus connus, dont l’identité sera dévoilée en temps opportun, en vue de mener une campagne médiatique virulente à travers les différents médias et sur les réseaux sociaux contre l’ANP et faire accroire à l’opinion publique que le peuple algérien rejette l’application de l’article 102 de la Constitution. (…) Toutes les propositions découlant de ces réunions suspectes, qui vont à l’encontre de la légalité constitutionnelle ou portent atteinte à l’ANP, qui demeure une ligne rouge, sont totalement inacceptables et auxquelles l’ANP fera face, par tous les moyens légaux ».
Qui sont ces personnes qui comploteraient contre l’ANP et, surtout, qui concocteraient d’autres plans de sortie de crise ? Quels sont ces plans, que prévoient-ils ? Gaïd-Salah ne va pas plus loin, mais promet de le faire « en temps opportun ».
Dans sa récente interview à TSA, Amar Saâdani avait lancé des accusations similaires, mais lui aussi, il n’avait nommé personne : « Le centre de l’armée est, lui, permanent. Il doit être sauvegardé. Je conseille mes frères qui soutiennent le hirak dans la presse ou dans les réseaux sociaux d’être vigilants par rapport à ce danger mortel. Si ce groupe contrôle l’état-major, il n’y aura pas d’État démocratique, pas d’État civil, pas de justice indépendante. Nous allons revenir à 1992. Cela ne va ni dans l’intérêt des islamistes, ni des démocrates. L’état-major ne doit pas être pris des mains des nationalistes. »
Quoi qu’il en soit, l’armée, appelée à assumer ses responsabilités par la rue et la classe politique depuis le début du mouvement populaire (certains l’avaient fait bien avant, comme Ali Ghediri), vient de franchir un nouveau pas dans ce sens et rien ne dit qu’elle n’ira pas jusqu’au bout. Il y va de son aura et de sa crédibilité. Tous ces développements nous rapprochent peut-être de la fin de la crise. Ou alors du début d’une autre encore plus inextricable. De nouveaux développements pourraient intervenir rapidement.
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