Acculé depuis plus de deux semaines par une contestation populaire sans précédent, le pouvoir algérien doit maintenant faire face à une pression supplémentaire, celle des partenaires étrangers du pays.
Jusque-là prudentes, les grandes puissances occidentales commencent à se lâcher sur ce qu’il convient désormais d’appeler la crise algérienne. Ce n’est pas encore la mise au ban, loin de là, mais aucune des langues qui se sont déliées jusque-là n’a pris la défense du pouvoir en place et le droit du président Bouteflika à solliciter de nouveau la confiance de son peuple.
Pas même le président tunisien qui était le premier à réagir aux manifestations monstres du 22 février. « L’Algérie, c’est un peuple qui a beaucoup lutté pour gagner son indépendance après 130 ans de colonisation et maintenant un peuple libre. Evidemment il est libre de s’exprimer comme il l’entend sur sa gouvernance », avait indiqué le 25 février Beji Caïd-Essebsi, auquel est pourtant prêtée la même ambition que Bouteflika, c’est-à-dire celle de briguer un autre mandat à un âge très avancé.
Le plus attendu, c’est l’avis de la France, mais le pays d’Emmanuel Macron est comme doublement tétanisé. D’abord par l’excès de prudence que dictent la complexité et la sensibilité de la relation entre les deux pays, puis par la crainte de voir la contestation déboucher sur une situation incontrôlable. Pour toute réaction donc de Paris, le minimum syndical, avec les mêmes éléments de langage martelés par tous les officiels jusqu’au Premier ministre hier soir : refus d’ingérence, respect de la souveraineté, respect des choix du peuple…
Le ton frileux de Paris contraste nettement avec celui qu’adoptera dès le lendemain Washington. Les Etats-Unis ont en effet apporté dans la nuit du 5 au 6 mars un soutien franc aux manifestants qui contestent le cinquième mandat de Bouteflika et plus globalement tout le système en place.
En attendant un tweet de Donald Trump, encore occupé par le psychodrame vénézuélien, c’est un porte-parole de sa diplomatie qui est chargé d’annoncer la couleur. « Nous suivons les mouvements de protestations qui se déroulent en Algérie et nous allons continuer à le faire. Les Etats-Unis soutiennent le peuple algérien et son droit à manifester pacifiquement », a affirmé Robert Palladino.
Restons prudents, il s’agit juste d’un rappel d’un droit universel, celui de pouvoir manifester librement. Ni les Etats-Unis ni aucune autre puissance n’a encore invité Bouteflika à quitter le pouvoir, comme elles l’ont fait avec le président vénézuélien. Mais les positions peuvent bien évoluer et plus rapidement qu’on le croit. Tout dépendra de la capacité de la rue à maintenir la mobilisation et surtout le caractère pacifique des manifestations. Prochain test, vendredi 8 mars.
Bien des clichés et des préjugés ont été démentis le 22 février puis le 1er mars. Ils pourraient définitivement voler en éclat si la jeunesse algérienne maintient dans la durée sa mobilisation pacifique, son civisme et son sens des responsabilités. Le monde est peut-être en train de comprendre qu’un changement pacifique est possible en Algérie.
Au vu des positions de l’un et l’autre des protagonistes, c’est-à-dire de la rue et du pouvoir, une autre illusion est aussi sur le point de s’effriter. Celle d’un pouvoir algérien qui s’érige en rempart contre le chaos. En maintenant incompréhensiblement la candidature d’un homme impotent, au pouvoir de surcroît depuis vingt ans, contre l’avis de son peuple, le régime algérien prend le risque de passer aux yeux des puissances étrangères de garant à facteur d’instabilité. Cette même instabilité brandie à chaque fois comme un épouvantail et qui a fait qu’Européens et Américains ont laissé faire toutes les incuries de ces dernières années en matière de démocratie et d’alternance au pouvoir en Algérie. Dans une large mesure, ça se comprend.
Alger est à deux heures d’avion de Paris et, plus précisément, à 24 heures de « barque » de Marseille. La France, plus que tout autre pays, est hantée par l’éventualité de voir les Algériens débarquer par dizaines de milliers sur son territoire en cas de graves troubles dans leur pays. Menace exagérée ? Sans doute pas, mais il y avait peut-être erreur sur le diagnostic.
Enfin, si la montée au créneau des étrangers se fait plus insistante, le pouvoir pourra toujours sortir la vieille rengaine de « l’ingérence étrangère ». Mais là aussi, il lui sera difficile de convaincre l’opinion nationale, très sensible à ce genre de discours, que cette ingérence n’est pas la conséquence de son entêtement à maintenir une candidature surréaliste. En somme, la cause du cinquième mandat est plus que jamais indéfendable.