Société

Le camion GAK de Berliet, une passion algérienne

Cuba n’est pas le seul pays à posséder ces vieilles voitures que bichonnent leurs propriétaires. C’est aussi le cas de l’Algérie avec les camions mythiques GAK. Bien que la société Berliet ait arrêté leur montage à partir de 1974, ils continuent de sillonner les routes d’Algérie et notamment les chemins de terre de la steppe, le pays du mouton.

Quels sont les secrets de cette popularité et de cette incroyable longévité d’un camion ?

La steppe, cet hinterland de plus de 20 millions d’hectares entre le Nord de l’Algérie et le désert, constitue le pays du mouton et le GAK y a trouvé sa terre de prédilection.

Pour percer le secret de cette réussite, il suffit d’écouter ce qu’en disent les éleveurs. « Le GAK est increvable, il roule aussi bien sur les pistes, dans la poussière, sur la neige que pour le franchissement des oueds à gué », confie un utilisateur à Dz News.

Dédaigneux, il ajoute : « Après quelques mois d’utilisation, les nouveaux camions sont bons pour la ferraille, car ils ne sont pas adaptés à nos conditions ».

GAK, des pièces détachées peu chères

L’entretien du GAK est aisé et quelques connaissances en mécanique suffisent aux garagistes locaux pour les réparer. Autre avantage et pas des moindres : « Ses pièces détachées ne sont pas chères », ajoute un autre utilisateur.

Enfin, contrairement aux camions de marque Toyota importés dès les années 1980, les GAK ne sont pas hors de prix.

Leur montage en Algérie a commencé en 1959 lorsque Paul Berliet a ouvert une usine à Rouiba à l’Est d’Alger. Jusqu’à 1974, des milliers de ces camions de 2,5 tonnes sortiront des chaînes de montage.

À l’époque, avec sa cabine avancée et ses larges baies vitrées, l’engin fait sensation et sa robustesse est appréciée.

À Aïn Della (Laghouat), les GAK sont partout dans la ville. Dans cette région de l’intérieur du pays, ce camion est indispensable : transport de palettes de briques, d’eau, de carburant, sans compter les transports pour les éleveurs.

Dans les régions d’élevage, les artisans ferronniers ont développé des équipements spécifiques au transport des moutons tel un second plancher en bois aisément démontable qui permet de doubler le nombre de bêtes embarquées.

GAK et le transport des troupeaux

Dans l’immensité de la steppe algérienne aux sols peu profonds et aux pluies rares, seul le pastoralisme associé au nomadisme a permis aux populations locales de tirer parti de la terre.

La faible productivité des pâturages naturels nécessite un déplacement incessant des troupeaux. Le GAK a permis que ces déplacements des hommes et des troupeaux soient plus rapides et il a ainsi contribué à la création d’emplois dans ces régions longtemps isolées et parfois qualifiées de « zones d’ombre ».

Revers de la médaille, le GAK a contribué au pillage des fragiles ressources fourragères en permettant leur exploitation sans vergogne.

L’universitaire Abderrahim Khaldoun, qui leur a consacré une étude, notait en 2000 qu’à lui seul, le service des cartes grises de la wilaya de Naâma recensait 1.600 camions de ce type.

Le GAK mérite le qualificatif de vaisseau de la steppe tant il est apprécié des éleveurs de moutons. Il est courant de voir près des tentes occupées par les bergers et leur famille, un GAG stationné à proximité.

Les moyens offerts par ce camion pour transporter de l’eau a permis à certains éleveurs d’occuper des pâturages auparavant inaccessibles du fait de l’absence de puits.

GAK et téléphone portable ont changé la donne

C’est le cas dans les hautes plaines occidentales où selon Abderrahim Khaldoun, « les éleveurs de la région Sud de Tlemcen et de Mecheria amènent leurs troupeaux, camions et citernes dès qu’ils savent qu’une précipitation locale a fait germer la végétation ». Le GAK et le téléphone portable ont changé la donne.

En permettant aux éleveurs de se déplacer plus facilement avec leurs bêtes, le GAK tient également une place centrale dans la tenue des marchés hebdomadaires aux bestiaux.

Outre les éleveurs, les contrebandiers également apprécient le GAK. Il a détrôné les moyens traditionnels tels qu’ânes et mulets, obligeant, dès 2016, les services des douanes à creuser des tranchées le long des frontières afin d’interdire leur passage.

Les secrets de la longévité du GAK Berliet

Devant son GAK, dont l’intérieur de la portière a perdu son lustre d’antan, un vieil éleveur coiffé d’un traditionnel turban témoigne sur Echorouk TV : « En plus des animaux, on transporte de la paille ou de l’orge. » Intarissable, il poursuit : « J’en possède un depuis 18 ans et je vais n’importe où avec. Les nouveaux camions sont beaux, mais ils ne sont pas adaptés. »

Des camions que les urbains ne connaissent que lorsqu’ils les croisent sur les routes, pestant lorsqu’ils tentent de les doubler alors que leur énorme chargement de paille rend l’opération difficile par manque de visibilité.

Le GAK a conquis plusieurs générations de conducteurs. C’est le cas à Naâma où un jeune chauffeur en blouson confie à El Bilad TV : « Je suis revenu au GAK, car ces camions sont solides et roulent mieux que les autres. Le mien me sert pour tout type de transport ».

Nombreux sont les GAK qui portent les stigmates des années : calandre cabossée ou remplacée par une simple grille métallique, tôle froissée, voire en partie rouillée.

Les GAK ont leurs troubadours, qui clament dans un style populaire les qualités de ces camions en y mêlant l’ironie lorsqu’il s’agit de décrire l’état calamiteux de certains de ces véhicules.

Un conducteur confie un souhait « que la société mère les fabrique à nouveau ». Un vœu pieux que l’industriel Paul Berliet décédé à l’âge de 93 ans à Lyon, pourrait peut-être entendre là où il repose aujourd’hui. La marque Berliet a été absorbée par Renault en 1974, avant de disparaître complètement en 1978.

SUR LE MÊME SUJET :

Camions interdits dans la journée à Bejaia : une mesure controversée

Les plus lus