La Libye reste engluée dans une interminable crise de transition sans solution crédible en vue, en dépit de la signature il y a deux ans d’un accord politique censé mettre fin au chaos et aux profondes divisions entre camps rivaux.
Dernier témoignage en date de ce chaos persistant, l’enlèvement et le meurtre dimanche de Mohamad Esthewi, le maire de Misrata, troisième ville de Libye.
Parallèlement, cette crise continue d’alimenter le drame de centaines de milliers de migrants, qui vivent pour beaucoup un enfer aux portes de l’Europe.
En décembre 2015, la signature d’un accord à Skhirat (Maroc), sous l’égide de l’ONU, avait pourtant débouché sur la formation d’un gouvernement d’union nationale (GNA) et ravivé l’espoir d’un retour progressif à la stabilité.
Mais, selon des experts, cet accord, dont les tentatives d’amendement ont toutes échoué, a au contraire renforcé les divisions.
“Je pense qu’il n’a jamais représenté une véritable solution”, affirme à l’AFP Federica Saini Fasanotti, de la Brookings Institution basée à Washington, regrettant la “perte d’un temps précieux, car l’accord n’a jamais été reconnu par le peuple libyen”.
Depuis son installation à Tripoli en mars 2016, le GNA n’a jamais fait l’unanimité, et il ne parvient toujours pas à asseoir son autorité sur des pans entiers du pays qui reste sous la coupe de dizaines de milices.
Sa légitimité a été contestée d’emblée par ses rivaux, arguant qu’il avait pris ses fonctions sans obtenir la confiance du Parlement élu en 2014 –basé dans l’est (Tobrouk) –, comme le prévoyait l’accord de Skhirat.
Le GNA dirigé par Fayez al-Sarraj fait ainsi face à l’hostilité persistante de cette assemblée et d’un gouvernement parallèle appuyés par les forces du maréchal controversé Khalifa Haftar, également installé dans l’est libyen (Al-Bayda).
Et la position de ce “gouvernement d’union” risque d’être encore davantage fragilisé avec l’expiration de son mandat, le 17 décembre. L’accord de Skhirat prévoyait en effet la formation de cet exécutif pour un mandat d’un an renouvelable une seule fois.
Expiration et menaces
Cette semaine, le maréchal Haftar a estimé que cette date du 17 décembre marquait “un tournant historique et dangereux” avec “l’expiration de l’accord politique libyen”.
“Tous les corps issus de cet accord perdent automatiquement leur légitimité”, a-t-il argué.
Mme Saini Fasanotti estime au contraire que la fin du mandat du GNA ne change pas grand-chose. “Le GNA n’a jamais été un vrai acteur politique en Libye”, tranche-t-elle.
Régulièrement accusé par ses détracteurs de vouloir prendre le pouvoir et d’ instaurer une dictature militaire, le maréchal Haftar entendait lui profiter de la fin du mandat du GNA pour tenter “un coup” de force, avance un responsable du gouvernement Sarraj.
“Mais des menaces qui lui ont été directement adressées par la communauté internationale l’en ont dissuadé”, affirme à l’AFP ce responsable, sous le couvert de l’anonymat.
Le maréchal Haftar l’a d’ailleurs lui-même suggéré dimanche en affirmant avoir été “menacé de mesures internationales fermes” s’il osait prendre des initiatives hors du cadre mis en place par la communauté internationale et l’ONU.
Aux Nations unies, le Conseil de sécurité a de son côté indiqué que l’accord de Skhirat demeurait pour lui “le seul cadre viable pour mettre fin à la crise politique en Libye”, dans l’attente d’élections prévues en 2018.
‘A double tranchant’
Selon Issandr El Amrani, directeur Afrique du Nord à l’International Crisis Group (ICG), le maréchal controversé ne dispose pas “de la force ou du soutien suffisant” pour prendre le pouvoir sur l’ensemble de la Libye.
“Il est surtout confronté à une forte opposition de l’ouest, en particulier à Misrata” (200 km à l’est de Tripoli), qui compte les groupes armés les plus puissants de Libye.
Le nouvel envoyé spécial de l’ONU, Ghassan Salamé, œuvre quant à lui pour la tenue des élections en 2018, conformément au plan d’action qu’il a présenté en septembre à New York. Le scrutin est “la meilleure solution pour départager les (groupes) rivaux”, a-t-il dit récemment.
Des analystes se disent néanmoins sceptiques sur le succès de ces élections.
Pour Mme Saini Fasanotti, elles “peuvent être une arme à double tranchant, car elles peuvent aggraver les divisions entre (camps) rivaux”. “Je ne suis pas sûre que c’est la meilleure solution du moment”.
“Sans une amélioration de la relation entre Haftar et l’ouest, en particulier Misrata, il sera difficile de tenir des élections crédibles”, renchérit M. Amrani.
Mohamad al-Qataani, un universitaire libyen, est plus radical. Pour lui, il y a deux solutions à la crise en Libye: “soit tout le monde accepte le plan de M. Salamé, soit un règlement militaire se dessine entre les deux pôles du conflit: les forces du maréchal Haftar d’un côté, celles de Misrata de l’autre”.