Le monde du cinéma en Algérie est dans la tourmente. En cause, l’installation au ministère de la Culture d’une « commission de lecture » pour délivrer les autorisations de tournages de films.
Une mesure que le producteur Boualem Ziani assimile à une « censure » qui ne dit pas son nom. « La nouvelle ministre a installé une commission de lecture pour délivrer les autorisations de tournage. Ce sont de nouvelles mesures bureaucratiques qu’on peut interpréter comme une commission de censure parce qu’on perd beaucoup de temps et beaucoup d’énergie. Pourquoi ? Pour relancer le cinéma ? Pour être plus efficace ? C’est comme ça ? C’est absurde », fulmine le producteur de cinéma, dans une déclaration à TSA.
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« Ce sont des mesures qui vont à l’encontre des objectifs du président de la République à vouloir faire du cinéma une vraie industrie » en Algérie, dénonce-t-il, avant de poursuivre qu’on ne relance pas le cinéma « avec des obstacles administratifs mais avec des mesures financières encourageantes et beaucoup plus de liberté de créations ».
La relance du cinéma algérien, selon M. Ziani, passe aussi par la prise en charge de la formation des techniciens, la création d’ateliers et de rencontres avec les professionnels du monde entier « avec des mesures qui encouragent le secteur privé à investir dans la création des multiplexes avec plus de facilités ».
Ziani rêve de rendre l’Algérie « comme une grande destination du monde de cinéma mais avec une politique claire et sérieuse ». « Ce n’est par le bureaucrate qui dicte à un artiste comment regarder sa société, traiter tel ou tel sujet. Ce n’est pas le bureaucrate qui décide à quand la date de tournage et son lieu. Les productions sont liées à une deadline », relève-t-il.
« Mise à mort de cinéma »
Le producteur déplore l’existence d’un « décalage énorme entre le discours du président de la République et les mesures entreprises sur le terrain ». « Au début, les demandes se traitent sans censure et sans prendre beaucoup de temps. C’est une simple opération administrative. Par exemple, cela fait plus de 2 mois que j’ai déposé ma demande et cela fait 2 mois qu’on me fait courir pour un document administratif, lequel par ailleurs n’existe plus dans d’autres pays », tempête Boualem Ziani.
A la « censure », les professionnels du cinéma se plaignent aussi de l’annonce de la suppression des financements publics. « Depuis le 31 décembre 2021, le cinéma algérien n’a plus de financement public et il n’y a aucune visibilité quant à ce qui est prévu pour le maintenir en vie », s’émouvait, le 12 avril, un soutien de l’initiative #tahya_ya_cinéma en soutien au monde du cinéma. « Non à la suppression de l’aide publique au cinéma algérien », proclame la comédienne Adila Bendimerad sur son compte Facebook.
“À quelle société aspirons-nous sans arts”
En février dernier, l’Association des producteurs algériens de cinéma (APAC) a tiré la sonnette d’alarme et a adressé une lettre ouverte au chef de l’Etat. « Nous avons adressé une lettre au président de la République pour l’alerter sur la gravité de la situation après dissolution du FDATIC (Fonds pour le développement de l’art, de la technique et de l’industrie cinématographiques). C’est le seul fonds qui existait depuis 1968 et c’est grâce à lui que (…) l’Algérie a reçu le seul Oscar dans le cinéma arabe et une Palme d’or pour « Les années de braise » de Lakhdar Hamina », a indiqué M. Ziani.
« Nous avons demandé une audience pour discuter et échanger nos propositions et trouver une solution à cette situation inédite dans la vie du cinéma algérien depuis l’Indépendance », a rappelé notre interlocuteur.
« C’est le flou total. Tout est opaque », décrit-il, s’inquiétant d’une « mise à mort de cinéma » algérien.
Boualem Ziani livre cette réflexion sur un ton défaitiste : « À quelle société aspirons-nous sans arts et sans liberté de création ? On remarque bien en 2022 les prémices des années 89 et 90 qui ont plongé l’Algérie dans les ténèbres du terrorisme. Une société sans cinéma c’est comme une personne qui n’a pas de miroir chez lui ; elle ne connaît jamais les traits de son visage. Donc une société sans image et sans mémoire ».