CONTRIBUTION. Le choix du cinquième mandat, même avec une santé parfaite du prétendant à la magistrature suprême, est sûrement la plus mauvaise des options qui s’offrent au pays et à sa population. C’est un choix qui ne peut profiter et de manière momentanée qu’aux cercles du sérail qui en ont fait l’option.
Les promoteurs du cinquième mandat ne peuvent en conséquence compter sur l’adhésion populaire pour faire accepter et porter cette candidature. Les partis de l’alliance qui en sont les faire-valoir n’y peuvent rien à ce sujet.
Leur incapacité à mobiliser la population est manifeste, depuis qu’ils ont troqué leur mission de médiateur contre celle de parti alibi. Même les pouvoirs que leur confère leur proximité avec les décideurs et qui leur permettent ainsi d’agir au bénéfice de la clientèle, en réglant certains de leur problèmes, ne changera rien en la matière.
Mais, les promoteurs de ce projet de la continuité se sont visiblement préparés à cela. Tout indique en effet qu’ils s’apprêtent à un passage en force, en dénote la menace non voilée du Premier ministre à l’encontre des partisans du boycott, qui assure que « le gouvernement a prouvé qu’il maîtrisait la rue. Les manifestations publiques des boycotteurs seront interdites, et l’État est capable de faire face au mouvement de foule et à la confusion ».
À cet effet, le pouvoir s’est assuré au préalable le contrôle de tous les espaces de pouvoirs qui interviennent de près ou de loin dans le déroulement du scrutin et dans le maintien de l’ordre public.
L’allégeance et la fidélité ont été de ce fait les principaux critères qui ont prévalu aux nominations aux commandes de ces différents services et institutions. En étant obnubilés par la recherche du responsable docile, les décideurs de l’ombre se sont même montrés peu regardants sur les exigences d’aptitude physique, d’âge ou de compétence.
Ce forcing pour le contrôle des institutions aura immanquablement pour conséquence la perversion du sens de leurs missions régaliennes et provoquera l’affaissement de l’État de droit dans sa philosophie même, au bénéfice d’une structure tribale.
L’option de rempiler ainsi pour un cinquième mandat n’est pas un ultime recours destiné à pallier l’absence d’un candidat de consensus. Elle n’est pas un choix par défaut, comme le suggère l’entourage proche du président.
On a prétexté en effet l’absence d’une candidature de consensus pour motiver et tenter de justifier la déraison d’une telle décision, en feignant d’ignorer qu’en démocratie, seule la majorité électorale, qui ne peut faire défaut en aucun cas, compte pour trancher dans les conflits censés traverser la société.
La notion de consensus dont on parle ici est synonyme de l’unanimisme, qui est la négation du politique même. Il est la façade des régimes totalitaires qui souffrent de l’absence de légitimité démocratique et il se reflète à travers des scores à la Brejnev au moment du verdict électoral.
Ceux qui qualifient cette candidature pour un cinquième mandat du choix de la peur ont aussi tort. Comment aller à une démarche instinctive qui, si elle préserve les intérêts du clan, n’en fait pas moins perdre la dignité, alors même que des solutions à moindres frais s’offrent à eux ? À l’évidence, vouloir se donner une loi pour s’assurer une totale immunité pour se protéger et protéger les siens, n’est qu’une simple formalité pour celui qui bénéficie d’une allégeance indéfectible des institutions.
Rempiler pour un cinquième mandat est encore moins un choix de l’espoir, eu égard au bilan peu reluisant de près de vingt ans de règne et des nombreux défis qui attendent le pays, compte tenu de son immense retard dans le développement.
Ainsi, l’Algérie qui s’illustre par ce piètre bilan, que l’on cherche à auréoler en clamant qu’elle est une oasis de stabilité et un havre de paix, est plutôt perçue par nos voisins comme une réelle menace pour la région. Par son instabilité systémique causée par le régime liberticide, le pays est aussi craint que les vétustes centrales nucléaires héritées de l’ère soviétique.
Un vrai bilan se décline en effet par la progression de la démocratie où la stabilité se conjugue avec la pleine citoyenneté et la vitalité de sa société, le développement technologique et scientifique, l’augmentation du PIB, le taux de croissance économique, l’amélioration du pouvoir d’achat et la résorption du chômage etc.
Or, selon ces indicateurs, rien n’a fondamentalement changé par rapport à l’ère de Chadli. L’inflation repart à la hausse, le déficit financier structurel se creuse et le recours à l’endettement extérieur devient inévitable, même si l’on a réussi à lui surseoir durant cette période de pré-élection en usant de la planche à billets.
Ainsi, après vingt ans de règne, seules de rares réalisations dans le domaine des transports, de l’infrastructure publiques et de logements sociaux sont comptabilisées à l’actif de l’actuel président. Ces réalisations, par des surcoûts inouïs induits par la corruption et la gabegie, ont fait fondre les réserves financières, cumulées durant la longue période d’embellie financière générée par la rente pétrolière.
L’incongruité de ces réalisations est par ailleurs largement démontrée par l’ajournement des projets vitaux tels les hôpitaux, dont l’annonce est destinée à calmer les citoyens qui ont exprimé leur indignation de voir le président, et des hauts responsables de l’État se faire soigner à l’étranger.
Ce cinquième mandat est au final un choix de l’oligarchie et des prédateurs de tout bord qui ont prospéré à l’ombre du pouvoir, et dont le vorace appétit n’est jamais autant satisfait qu’avec le présent statu quo. Ce choix qui est qualifié de continuité est un choix qui répond à des intérêts personnels, au détriment de l’intérêt général, du fait de leurs natures antinomiques.
Il est important de faire une bonne lecture des évènements et de comprendre la stratégie avec laquelle opère le pouvoir. Sa compréhension peut aider l’opposition structurelle à mieux s’organiser et couronner son combat par plus d’acquis substantiels.
Rien de plus encourageant pour les partisans du statu quo, auteurs des graves dérives que connait le pays, que de continuer pour l’opposition à désigner le pouvoir, que l’on accable à juste titre de tous les maux, en tant que nébuleuse indéfinie, sans le cerner et sans identifier ceux qui l’incarnent aux différents échelons.
Par ailleurs, pour laver l’affront de cette candidature impensable, rien de tel que de rompre avec les positions de morale et s’engager en faveur d’un rapport de force politique, dans la cohérence avec le cap d’une transition vers la démocratie. Il est à espérer également que les militants sauront dans cette conjoncture garder leur sérénité, malgré l’outrage de ce choix, et pouvoir contenir leurs luttes dans le cadre pacifique qui a prévalu jusque là.
*Hamid Ouazar est ancien Secrétaire national du FFS