Société

Le drame d’une Franco-Tunisienne à la recherche de ses enfants en Algérie

La vie d’Aïcha. M. est jalonnée de violences, de déchirements et de drames. Âgée de 39 ans, cette Franco-Tunisienne est arrivée début mars en Algérie pour récupérer ses trois enfants « kidnappés » par leur père algérien. Cette femme, qui a dû surmonter sa peur et les menaces de son ex-conjoint, savait que les choses n’allaient pas être simples. En réalité, rien n’a jamais été simple.

Un mari violent 

Aïcha s’est mariée à un Algérien originaire de Batna dans les années 2000. Grâce à ce mariage, l’homme a pu obtenir la nationalité française. Le couple a eu trois enfants : deux filles et un garçon. Pendant des années, Aïcha a été violentée et battue par cet homme manipulateur. « Il va jusqu’à pousser la sœur de sa femme à se marier avec son frère afin d’obtenir des papiers français », confie à TSA Meriem Belaala, présidente de SOS Femmes en détresse.

En 2011, Aïcha finit par obtenir le divorce. Mais cette séparation ne met pas fin à son calvaire. Bien au contraire. Son ex-mari continue de la harceler. « Après le décès brutal de l’une de ses sœurs en 2014, Aïcha est abattue. Son ex-mari profite alors de sa faiblesse. « Il lui demande de prendre les enfants en Algérie prétextant que sa mère était très malade et qu’elle voulait les voir », souligne notre interlocutrice.

Enfants retenus à Batna

Aïcha ne se doute pas des réelles motivations de son ex-mari. Elle n’imagine pas qu’elle ne pourra plus revoir ses enfants. « Le temps passe et elle n’arrive plus à parler à ses enfants restés à Batna tandis que le père fait des allers-retours entre la France et l’Algérie », détaille Mme Belaala. Malgré les menaces de son ex-mari, cette Franco-Tunisienne ne dépose pas plainte en France.

Elle se rend en Algérie une première fois en 2016. Et tente de négocier avec son ex-mari pour récupérer ses enfants. Il lui propose alors un mariage avec son petit-frère afin qu’il puisse, lui aussi, obtenir la nationalité française. Ce qu’elle refuse.

Pendant ces quatre années, Aïcha ne sollicite pas l’aide des services sociaux en France ou en Algérie.  Jusqu’à ce jour où ses enfants appellent au secours, explique Meriem Belaala.

« Cette pauvre femme a deux filles de 14 et 13 ans et un garçon de 12 ans. Ils l’ont contactée pour lui dire que l’aînée aurait subi des attouchements du grand-père rentré ivre mort un soir à la maison », raconte la militante. Aïcha décide de revenir en Algérie, déterminée à récupérer ses enfants, après avoir déposé une main courante contre son ex-mari en France, détaille la présidente de l’association SOS Femmes en détresse.

Des enfants confiés à la famille du père en Algérie 

Dès son arrivée en Algérie, Aïcha se rend à Batna. Ses enfants s’enfuient de la maison paternelle et retrouvent leur mère à la gare. Direction Alger. Une fois dans la capitale, elle se dirige vers le consulat de France. La mère et les enfants sont confiés à SOS Femmes en détresse pour 48 heures. Le temps de préparer les laisser-passer des enfants afin qu’ils puissent repartir avec leur mère.

« Dans notre centre, nous avons essayé de les préparer psychologiquement en leur disant qu’ils pouvaient être interdits de sortie du territoire s’il y avait une plainte », précise Meriem Belaala. Ce scénario va effectivement se produire… Une fois à l’aéroport, la mère et ses enfants sont arrêtés et placés en garde à vue par la police. L’oncle avait déposé une plainte.

Les enfants et leur mère restent deux nuits et un jour en garde à vue. Sur ordre du Procureur, ces enfants sont finalement confiés à l’oncle en présence du père à la fin de la garde à vue. « On entendait leurs cris et leurs pleurs. On les a pris de force », souffle la présidente de SOS Femmes en détresse.

Bataille judiciaire

Une longue bataille judiciaire commence pour Aïcha. Elle doit d’abord faire en sorte que son divorce soit inscrit à l’état civil en Algérie. Ce qui n’est pas encore le cas. Elle doit connaître l’endroit où se trouvent actuellement ses trois enfants. Aïcha tentera ensuite de demander un droit de visite avant d’entamer la procédure pour les récupérer, selon Meriem Belaala. « On va demander aussi au juge des mineurs une expertise psychologique pour les enfants et un examen médical », dit-elle.

Selon notre interlocutrice, les trois enfants portaient des traces de coups. Pour elle, la police devrait protéger les enfants. En l’état, le fait de les confier à la famille paternelle est incompréhensible et menace la vie de ces enfants. « Ce qui nous fait terriblement mal est l’extrême souffrance de ces enfants. L’aînée de 14 ans a déjà parlé de suicide. Sa grand-mère est persuadée qu’elle pourrait passer à l’acte », regrette Meriem Belaala.

En Algérie, Aïcha n’est pas un cas unique

Comment cette mère a pu se taire durant quatre longues années ? Pourquoi n’a-t-elle pas porté plainte ? A-t-elle délibérément abandonné ses enfants ? Poser ces questions, c’est ignorer le drame et l’extrême vulnérabilité des femmes victimes de violences, selon Meriem Belala. « L’homme l’a harcelée et menacée. Il a déjà pointé une arme contre elle. Elle est tétanisée par la peur », insiste-t-elle.

Le fait de vivre en France ne l’a pas vraiment aidée. Handicapée et pratiquement analphabète, Aïcha a grandi dans une banlieue lyonnaise où les femmes subissent toute sorte de violences. « Ce n’est pas une femme qui connaissait ses droits. Elle a quitté les bancs de l’école alors qu’elle était toute jeune. Visiblement, l’assistante sociale ne s’était pas souciée à l’époque de sa disparition. Certaines banlieues de Lyon sont pires que l’Algérie pour une femme », juge-t-elle.

En Algérie, Aïcha n’est pas un cas unique. Au total, SOS Femmes en détresse a traité 35 affaires de Françaises d’origine maghrébine, venues en Algérie à la recherche de leurs enfants enlevés par leurs ex-conjoints.

Le scénario est souvent le même : mariage, naissance du premier enfant, obtention de la nationalité française par le mari, violences, divorce, enlèvement des enfants.« Une fois qu’ils ont obtenu la nationalité française et après avoir divorcé, ils considèrent que les enfants leur appartiennent et qu’il faudrait les faire grandir chez leurs parents dans un pays musulman », raconte Meriem Belala.

Les plus lus