TRIBUNE. « Je ne sers aucun clan. Je ne sers que l’Algérie », Mohamed Betchine.
Mon oncle souffla sa dernière bougie le 28 novembre 2022, avant de tirer sa révérence de ce bas-monde le lendemain. Ses derniers battements de cœur retentirent dans son pays, si chéri à ses yeux, dans lequel il voulait absolument mourir.
Son corps fut inhumé tout près de son frère Betchine Ahmed, mort en martyr, à la fleur de l’âge, en affrontant la soldatesque française.
Sur cette terre qui le recouvrit, se tenaient ses enfants, sa famille, son fidèle ami le Président Liamine Zeroual, ses derniers amis et tous ceux qui le connurent de nom, de renommée ou à travers sa générosité, son aide, sa bienveillance. La tristesse embaumait les lieux.
La tristesse, la mienne, était aussi intense quand je le voyais les derniers jours de sa vie, redevenant si humain, rejoignant cette fragilité humaine de la sénescence, comme nous sommes, tous, destinés à le devenir un jour ou l’autre.
Toutefois, par moment il reprenait cette force herculéenne que tout le monde craignait et nous regardait de son œil perçant, qui révélait le grand homme et figeait presque le temps.
Le temps est certes passé, bien des années, trente ans, le jour où mon oncle m’ouvrit les portes de sa maison, recueillant un orphelin qui connaissait bien la mort, la mort d’une mère. Et qui ne connaissait rien de la vie.
Cette vie, il commença à m’en dévoiler les vicissitudes et la sagesse qu’elle requiert au gré de ses maximes et de ses récits alors qu’à l’âge de seize ans, nous courons derrière la beauté du diable. Je découvrais dès lors avec mon cerveau de jouvenceau un grand esprit.
Cet esprit qui n’était l’homme d’aucun clan, l’homme d’une seule parole et l’homme du dévouement à son pays, me livrait des « fables », qui résumaient toute une vie politique faite de luttes et de turbulences, autour desquelles mon raisonnement se forgeait et forgeait toute existence.
Cette existence qui le mobilisa, très jeune, avec les braves de Novembre et dont il rejoignit les rangs au maquis la vingtaine à peine entamée. Ce maquis dans lequel les moudjahidines se réveillaient le matin, comme il me le racontait, les moustaches givrées se cassant dans leurs mains toutes aussi glacées.
Ces mêmes mains de moujahid qui portèrent les armes contre le colonisateur, connurent également les gants de boxe pour malmener quelques adversaires et décrocher des titres, ces mains dont le punch était tel qu’il mit, un jour, K.O son adversaire, qui perdit connaissance pendant des heures ; mon oncle ayant cru l’avoir tué, le regretta amèrement.
L’amer regret, je le vis sur son visage, le jour où il prononça, devenant octogénaire, aux heures de la déchéance politique d’un certain règne, le vœu d’avoir uniquement dix ans de moins de sorte qu’il livre une ultime bataille à la racaille qui gangrénait le pays.
Des batailles, il n’eut de cesse d’en livrer, certes avec son caractère en acier trempé et sa pugnacité de boxeur, au grand dam de certains révulsés. Il connut la férocité des champs de batailles et la duplicité de la scène politique, il « négocia » difficilement les virages politiques que prit l’Algérie, qu’il voulait souveraine et glorieuse.
Glorieuse est aussi son ascendance, remontant à Betchine Ali, personnage historique fascinant, prisonnier toscan qui devint un illustre amiral, à partir duquel je reconnaissais dans ces deux destinées, une grandeur similaire et dont mon oncle était assurément un digne héritier grâce à une miraculeuse disposition chromosomique.
Miraculeuses sont les nombreuses situations où il échappa à la mort, des sifflements des balles au brouhaha des bombes, des arcanes vertigineux du pouvoir aux méandres « toxiques » de l’étranger, comme il connut les désillusions de cette décennie bien sombre où il se heurta à ce que les américains appellent character assassination, pratiqué par certaines « officines ». Or, Il garda ce calme des matins d’automne alors que les torrents s’abattaient sur lui.
Il vécut dix vies, néanmoins il mourut comme le veut la fatalité que d’une seule mort.
Je salue tous ceux qui ont connu l’homme ou le militaire et dans un élan de fraternité, nous ont soutenus ou lui ont adressé des prières.
Je me fie à la mémoire de certaines personnes car elles savent au fond d’elles quelle race d’homme il était.
Je pardonne à cette « fachosphère », plutôt à cette « échafaud-sphère », ces agents de la calomnie, prompts à l’injure, feignant le désir de justice ou le devoir de vérité et qui ne déversent que de la vilénie. La justice du clic !
L’homme est une totalité, la somme de ses réalisations, de ses erreurs, de ses vertus et de ses dérives. À chacun, il plait de voir ce qui l’arrange.
Paix à ton âme, cher oncle*
Tu seras toujours présent dans nos cœurs.
Betchine Islam Abdessamad
Présence
Quand le printemps s’annonce
Je sens ta présence
Dans la verdure abreuvée
Dans le ciel sans nuée
Sur les visages émerveillés
Quand le printemps s’annonce
Je sens ta présence
Dans le sommeil paisible d’un enfant
Dans le regard rassuré d’un adolescent
Au sein d’un foyer décent
Quand le printemps s’annonce
Je sens ta présence
Dans l’espoir fleurissant d’un combattant
Dans la rage indéfinissable de l’impuissant
Quand le printemps s’annonce
Je sens ta présence
Sur une terre qui célèbre sa renaissance
Sur une terre qui glorifie sa semence.
Feue Betchine Nadia
(Poème dédié à son frère martyr Betchine Ahmed)
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