Société

Le gouvernement désarmé face à la montée en puissance des revendications salariales

Le front social bouillonne à nouveau au grand dam du gouvernement Ouyahia qui a déjà fort à faire avec une conjoncture économique des plus défavorables et qui, de surcroît, est tenu d’épargner tout chahut du plus important rendez-vous électoral du pays, la présidentielle d’avril 2019, qui s’approche à grand pas.

Lundi, plusieurs syndicats du secteur de l’éducation, regroupés autour d’une intersyndicale, ont décidé d’observer une grève le 21 janvier. Ils accusent la tutelle d’ignorer les revendications des travailleurs.

Pis, ils se sont retiré récemment de la charte d’éthique signée avec le ministère de l’Éducation en 2015 et menacent de faire monter d’un cran leur protesta s’il viendrait à l’idée de la ministre Nouria Benghabrit de ne pas prendre en charge « sérieusement » leur plate-forme de revendications.

Ce que demande l’Intersyndicale ? La prise en charge effective des revendications socioprofessionnelles par la tutelle. Autrement dit, le gouvernement doit casser son tirelire pour apaiser un tant soit peu un secteur qui emploie pas moins de 700 000 fonctionnaires, presque le quart des effectifs de la fonction publique. Une rencontre entre les deux parties, syndicats et ministère, est prévue aujourd’hui jeudi pour désamorcer la crise et éviter une nouvelle grève dans l’éducation nationale.

En plus des enseignants, les imams menés par le secrétaire général de leur syndicat, Djelloul Hadjimi, ont occupé le devant de la scène en demandant une revalorisation de leurs salaires avant de trouver un terrain d’entente avec le ministre des Affaires religieuses, Mohamed Aissa, qui a promis d’étudier leurs revendications, lui qui, en décembre dernier, a pourtant écarté d’un revers de la main toute augmentation salariale.

Certains ne manqueront pas de jeter la pierre aux syndicats des enseignants et à celui des imams en les accusant de verser dans un “odieux chantage” sur le gouvernement pour arriver à leurs fins. Du chantage ? Un pis-aller, plutôt.

Car, le gouvernement a rarement accédé aux revendications de certains syndicats sauf quand il est dos au mur. Aussi, syndicats et citoyens ne rechignent plus à faire preuve d’opportunisme en essayant de tirer profit des situations d’inconfort dans lesquelles se trouve, parfois, le gouvernement.

| LIRE AUSSI : Front social : grève à El Hadjar, les imams et les enseignants haussent le ton 

D’autres encore, trouveront à redire sur ces revendications salariales qui sont sans cesse remises sur la table alors que le gouvernement a déjà concédé des augmentations salariales en août 2015 au profit de deux millions de travailleurs, avec l’entrée en vigueur de la suppression de l’article 87 bis du Code du travail, et en 2011 avec à la clé des rappels sur trois années depuis 2008. Sauf que la grande dépréciation du dinar conjuguée à la poussée inflationniste de ces dernières années ont mis à rude épreuve le pouvoir d’achat de pans entiers de la société. Du coup, ces augmentations se sont avérées comme un cautère sur une jambe de bois.

Reste à savoir si le gouvernement, pour s’éviter une fronde sociale à la veille de la présidentielle, jouera l’apaisement et jettera du lest avec le risque de voir d’autres catégories sociales monter au créneau pour demander, elles aussi, des augmentations.

Cela parait improbable. Certes, une prime mensuelle oscillant entre 20 000 et 60 000 DA a été accordée, en octobre de l’année dernière, aux médecins résidents, soit quatre mois après que ces derniers aient mis fin à leur grève qui a duré… huit mois.

Il y a aussi la Direction générale du complexe sidérurgique d’El Hadjar qui a accepté, le 21 décembre dernier, de reformuler les contrats des travailleurs sous CTA (contrat de travail aidé) et CDD (contrat à durée déterminée) en contrats d’une année renouvelables et sans interruption et procéder à un alignement des salaires de ces travailleurs avec la grille des salaires de l’usine.

Des augmentations pas très coûteuses au regard du nombre réduit des travailleurs concernés. Ce qui n’est pas le cas du secteur de l’éducation. Avec ses centaines de milliers d’employés, il serait difficile d’accorder des augmentations au risque de mettre en danger l’état des finances du pays déjà au plus mal.

C’est-à-dire des rentrées en devises qui se sont fondus de presque de moitié avec la chute du prix du baril, un endettement interne qui frôle les 40%, etc. Aussi, un tel geste envers l’intersyndicale de l’éducation parait improbable non pas parce que le gouvernement a des scrupules à continuer à dépenser sans compter pour s’acheter la paix sociale mais parce qu’il n’a, objectivement, plus assez de marge de manœuvre pour recourir à une telle solution de facilité.

En septembre 2017, le premier ministre Ahmed Ouyahia a avoué que l’État était dans l’incapacité de payer ses fonctionnaires. « Sans cette solution, qui permettra le recours au financement interne non conventionnel, nous n’aurions pas de quoi payer les fonctionnaires dès novembre prochain », a-t-il lâché devant les chefs des partis de l’Alliance présidentielle.

Quatre mois auparavant, lors d’un meeting électoral pour les législatives de mai 2017, animé en sa qualité de Secrétaire général du RND, le même Ouyahia a soutenu : « Il y avait des demandes d’augmentation de salaires. Moi je disais que les salaires augmentent avec l’augmentation de la production ». Le chef du RND parlait des hausses des salaires qui ont été accordées en 2011.

À suivre le raisonnement de M. Ouyahia, le gouvernement, désarmé face à la conjoncture sociale, ne serait pas dans de bonnes dispositions à accorder une fleur aux syndicalistes.

Sauf forcé pour calmer le front social si la contestation prend de l’ampleur, ou dans le cas d’une remontée spectaculaire des prix du pétrole notamment avec la volonté des Saoudiens de faire baisser leurs exportations, d’ici la fin janvier, à 7,1 millions de baril/jour.

Les plus lus