Depuis quelques années, le financement des déficits budgétaires énormes et persistants est devenu un véritable casse-tête pour les autorités algériennes.
Dès 2015, dans le sillage de l’effondrement des prix du pétrole qui avait divisé par deux les recettes pétrolières, le déficit budgétaire a atteint le niveau considérable de plus de 15% du PIB. Fort heureusement, les ressources accumulées pendant plus de 15 années dans le Fonds de régulation des recettes (FRR) ont permis de passer sans trop de dégâts les années 2015 et 2016.
Dès la fin du premier trimestre 2017, le FRR est déjà vide. Un premier effort de rigueur budgétaire et les ressources procurées par l’emprunt pour la croissance économique lancé l’année précédente vont permettre de tenir jusqu’à l’été 2017 et l’entrée en scène de la planche à billets proposée par Ahmed Ouyahia.
Mohamed Loukal vient de dresser, début octobre, un bilan de l’opération. Depuis deux ans, le financement du déficit budgétaire a été assuré par les ressources mises à la disposition du Trésor public par la Banque d’Algérie dans le cadre de la planche à billets. Au total, un peu plus de 6500 milliards de dinars.
A la date du 25 septembre dernier, plus de 5900 milliards avaient été injectés dans l’économie et il ne restait plus que 610 milliards de dinars dans le compte du Trésor à la Banque centrale. De quoi terminer l’année en cours sans problèmes, assure le ministre des Finances.
Le gouvernement affirme désormais qu’il se passera de la planche à billet en 2020. Comment financer dans ces conditions un déficit réel du Trésor public qui restera encore proche de 12% du PIB l’année prochaine ?
Le projet de Loi de finances 2020 finalement approuvé par le gouvernement, après plusieurs lectures et quelques hésitations sur son contenu, devrait être soumis à l’approbation des députés au cours des jours prochains.
Dans leurs interventions publiques les plus récentes, le premier ministre Noureddine Bedoui et le ministre des Finances Mohamed Loukal affichent l’intention du gouvernement d’instaurer une « logique de rigueur, de rationalisation et d’assainissement des finances publiques ».
Ces bonnes intentions sont malheureusement contredites par le contenu du projet de loi de finances 2020. Les spécialistes consultés par TSA n’y aperçoivent pas la concrétisation de la rigueur annoncée. Le meilleur exemple et le plus spectaculaire est certainement fourni par la persistance d’un déficit budgétaire d’un niveau très élevé.
Quel déficit budgétaire en 2020 ?
Dans la présentation de la loi de finances 2020, tout se passe comme si on avait affaire à un faux et à un vrai déficit.
Le PLF 2020 prévoit un déficit budgétaire officiel de 1533 milliards de dinars, soit 7,2% par rapport au PIB. Si on compare ce chiffre aux 1438 milliards de dinars (soit 6,9% du PIB) prévus pour la fin 2019, il n’est pas très difficile de relever tout d’abord que le déficit officiel est en réalité en hausse dans les propres projections du gouvernement.
Mais les problèmes ne s’arrêtent pas là. En réalité, la situation des finances publiques nationales est encore plus inquiétante que celle qui est annoncée par le gouvernement.
Cette estimation officielle du déficit est en effet en grande partie imputable à un tour de passe-passe comptable qui a permis de transférer une partie des dépenses, celles du financement des retraites notamment, en hors budget à travers le Fonds national d’investissement (FNI).
Le solde négatif du Trésor, qui enregistre la totalité des dépenses de l’Etat, reste lui quasiment identique à son niveau de l’année 2019 et atteint toujours le niveau considérable de plus de 2430 milliards de dinars (soit l’équivalent de 20 milliards de dollars et près de 12% du PIB).
Pour l’économiste Mouloud Hedir, « le niveau réel du déficit est plus important que celui affiché dans la Loi de finances. Au déficit affiché, il faut ajouter d’autres engagements de dépenses non budgétisées telles que l’énorme déficit de la Caisse nationale des retraites (plus de 600 milliards de dinars), la couverture des déficits des entreprises publiques, et la compensation de Sonatrach et de Sonelgaz, qui préfinancent les subventions publiques aux prix de l’électricité, du gaz et des carburants ».
Le dernier rapport de la Banque Mondiale publié le 9 octobre ne s’y trompe pas. Évoquant les contraintes causées par les prochaines élections, il note que « la période préélectorale risque de retarder davantage le processus d’assainissement budgétaire initialement programmé pour 2019, aggravant le déficit budgétaire à 12,1% du PIB et augmentant le risque d’un ajustement plus brutal à l’avenir ».
La fausse sortie de la planche à billets
« La planche à billets, c’est fini », avait annoncé voici déjà quelques mois le gouvernement. Une « option » confirmée timidement par le dernier Conseil des ministres qui évoque un financement du déficit « par des moyens conventionnels.
Dans une longue interview donnée à l’agence officielle début octobre, Mohamed Loukal confirmait : « Le gouvernement ne compte pas recourir au financement non conventionnel, introduit pour la période 2017-2022, ni sur les financements extérieurs mais compte puiser dans les “ressources internes ordinaires” dont dispose le pays ».
Quelles sont donc ces « ressources ordinaires » dont parle le ministre des Finances ? Personne pour l’instant ne l’a compris. Mohamed Loukal évoque « le renforcement de l’ingénierie financière, l’élargissement de l’utilisation des nouvelles technologies et la réactivation de l’efficacité de l’appareil fiscal ».
Mais personne n’y croit. Selon Mouloud Hedir, « le retour à la planche à billets sera inévitable. Le Trésor devra encore solliciter la Banque centrale. Le montant du déficit est totalement hors de portée des financements conventionnels évoqué par le gouvernement ».
Pour l’économiste algérien, « la dérive budgétaire est d’une gravité extrême. Voilà longtemps que notre pays dépense plus de ressources qu’il n’en génère. Une situation face à laquelle le gouvernement, complètement délégitimé, ne peut rien entreprendre de sérieux ».
Ali Benouari va plus loin en affirmant que « les objectifs de cette Loi de finances seront intenables pour le prochain gouvernement qui devra presque certainement recourir à une loi de finances complémentaire dans le courant de l’année prochaine ».
Il sera « impossible pour le prochain gouvernement d’éviter un programme de gestion de crise dans le but de s’attaquer aux sources du déficit », ajoute l’ancien ministre du Trésor.