Politique

Le Hirak boucle son 4e mois : quelques acquis mais peu d’avancées sur l’essentiel des revendications

Ce samedi 22 juin, le mouvement populaire de protestation contre le pouvoir et pour une transition vers une réelle démocratie boucle son quatrième mois. Hier, lors du 18e vendredi, les Algériens sont de nouveau sortis très nombreux manifester à travers tout le pays pour renouveler leurs revendications et affirmer leur unité.

Cette énième journée de grande mobilisation a démontré que la mobilisation reste intacte et que la détermination des citoyens est encore forte pour changer de système politique.

Ces quatre mois de protestation pacifique ont été riches en enseignements et en rebondissements. Des changements importants, mais insuffisants pour la plupart des Algériens, ont eu lieu au sommet de l’État. D’anciens hauts responsables et des hommes d’affaire sont emprisonnés et poursuivis en justice mais malgré cela, la protesta se poursuit et les Algériens, dans leur majorité restent insatisfaits comme le montrent les slogans scandés lors des marches.

Les poursuites judiciaires : satisfaction et interrogations

Qu’Ouyahia, Sellal et certains hommes affaires soient emprisonnés et jugés a sans doute réjoui beaucoup d’Algériens qui ont toujours eu un regard suspicieux sur ces hommes et pour qui, de telles poursuites relevaient, il y a peu encore, de l’impossible.

Les poursuites judiciaires sont les développements les plus spectaculaires de la révolte pacifique du 22 février. Peut-être même trop spectaculaires, ce qui suscite nombre d’interrogations chez les Algériens. Sont-elles l’action d’une justice enfin libérée ou de règlements de compte au sein du système ? Sont-elles un délestage du système qui tente ainsi de s’échapper à la pression populaire ? Toucheront-elles tous les corrompus ou seront-elles sélectives et épargneront ceux qui jouissent encore des faveurs du pouvoir ?

Des questions que se posent et posent les Algériens lors des manifestations et auxquelles il est difficile de répondre dans l’immédiat mais qui sont légitimes. Quoi qu’il en soit, beaucoup de manifestants se réjouissent de ces poursuites et demandent d’autres têtes, notamment celle de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika.

Le même régime est toujours en place

Sur le plan politique, des figures importantes sont parties. Abdelaziz Bouteflika a été forcé à la démission le soir du 2 avril, son frère et conseiller Said a été évincé puis arrêté et poursuivi par la justice militaire aux côtés des deux anciens chefs des renseignements, les généraux Tartag et Toufik.

Des départs et des arrestations qui ont tout l’air de grands bouleversements au sommet de l’État mais dont l’impact et la sens sont atténués par le maintien d’Abdelkader Bensalah comme chef de l’État par intérim et Noureddine Bedoui comme Premier ministre. Le maintien de ces deux figures du régime, discrédite les démissions, limogeages et arrestations de quelques figures du système.

Et les mêmes pratiques aussi

Après quatre mois de protestations massives et pacifiques des Algériens pour la démocratie, le pouvoir est encore en place, non seulement par ses figures (Bensalah et Bedoui), mais également par ses pratiques. Si la protesta a été l’occasion pour les Algériens de toutes les wilayas de se réapproprier la rue et les espaces publiques, parfois en forçant face aux forces de l’ordre, les autres libertés individuelles et collectives sont toujours aussi entravées que sous Bouteflika.

La presse, notamment, illustre l’absence de progrès des libertés. Les chaînes de télévision privée sont rentrées dans le rang après avoir couvert, pendant quelques semaines, les manifestations à travers tout le pays. Les médias publics, malgré une fronde inédite de leurs journalistes et un relâchement temporaire de la censure, qui n’aura duré au final que quelques semaines, sont retournés à leurs vieilles habitudes et occultent désormais les réelles revendications du peuple. L’ENTV, dans ses journaux télévisés du vendredi 21 juin, ont rapporté que les “Algériens sont sortis manifester massivement pour l’unité et pour réclamer la tenue d’élections dans les plus brefs délais”.

Les journaux privés, notamment les francophones, restent quant à eux sous pression, leurs journalistes ayant de plus en plus de difficultés à couvrir les manifestations alors que notre site de TSA est bloqué en Algérie depuis le 12 juin, sans aucune explication ni possibilité de contester la mesure auprès de la justice.

L’éveil politique, grand acquis de la protesta

La transition vers une réelle démocratie et plus de libertés tant réclamée par les Algériens depuis le 22 février n’a pas encore eu lieu, des figures du système sont encore au pouvoir avec ses pratiques liberticides et oppressives et la poursuite du mouvement qui est entré dans une routine hebdomadaire donnent une impression de stagnation. Mais des acquis certains ont été réalisés par les Algériens grâce à leur protesta. Le civisme, le pacifisme, la cohésion, la tolérance et la fraternité ont été affirmées, par les actes, comme des valeurs auxquels les Algériens tiennent par-dessus tout.

Le 18e vendredi, les manifestants ont proclamé, une bonne fois pour toutes, leur rejet de l’instrumentalisation des questions identitaires pour diviser les Algériens ou affaiblir leur mobilisation. Ils ont ainsi déjoué, pour la énième fois, une tentative de manipulation, de division ou d’affaiblissement de leur lutte pour une nouvelle Algérie.

“Ne changez pas de sujet, tetnehaw gaâ !” (vous partirez tous !), ont lancé des centaines de milliers d’Algériens lors de ce vendredi. Cette réaction, qui a été la même partout à travers le pays, reflète un éveil politique et la formation d’une nouvelle conscience nationale qui sont sans doute les deux plus grands acquis de cette révolte populaire.

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