Louisa Dris Aït Hamadouche est politologue. Dans cet entretien, elle explique les raisons de l’impasse politique actuelle, et la nécessité pour le mouvement populaire de se structurer en forces politiques.
Après deux mois de protestations populaires, le pays est toujours dans une impasse politique. Pourquoi ?
Le pouvoir politique utilise toutes les ressources politiques qui lui permettent de gagner du temps et qui permettent de démobiliser la population. On ne peut pas attendre autre chose du pouvoir politique. Il est dans son rôle. Il mobilise les ressources que ce soit au niveau du personnel politique, que ce soit sur le registre du discours politique qui vise à faire peur contre toute sortie de la constitution, la main étrangère, les complots internes…
Que faut-il faire pour pousser le pouvoir à faire des compromis?
En rentrant dans une transition, on rentrerait dans une logique de négociation entre les deux protagonistes, c’est-à-dire le pouvoir politique et l’opposition. Pour le moment, on n’en est pas encore là. On est encore dans une logique de la contestation populaire qui réclame le changement politique et le pouvoir politique qui maintient le statu quo. On est dans une logique où chacun est rentré dans une guerre d’usure. Ça durera jusqu’à ce que l’un des deux protagonistes cède. Pour éviter une rupture brutale, il faut entrer en transition, en période de négociation. Pour ce faire, il faudrait que la contestation populaire s’organise, il faut que les partis politiques comprennent le rôle qu’il est attendu d’eux.
Le régime politique veut perdurer, c’est sa raison d’être. Pour le pousser à faire des compromis, il faudrait que les pressions soient suffisamment fortes. Or, ces pressions ne peuvent pas venir que du vendredi, elles doivent venir de la classe politique et de la représentation qui doit être issue de la contestation populaire.
Comment cela peut-il se traduire concrètement ?
La classe politique a besoin de sortir des logiques partisanes et de créer une convergence sur une feuille de route commune. Elle ne doit pas s’adresser uniquement au pouvoir politique, mais surtout à la population. Elle doit la convaincre de sa feuille de route, et la meilleure façon d’y parvenir c’est de montrer à la population que tout ce qu’on dit sur les partis politiques n’est pas vrai. L’opposition doit pouvoir parler d’une même voix en proposant une feuille de route avec un consensus minimum. Si l’opposition parvient à parler d’une même voix et à mettre de côté, provisoirement, les ambitions partisanes qui sont les leurs, on arrivera à installer la confiance nécessaire avec le peuple.
De son côté, le Hirak doit se structurer en forces ou courants politiques des différents secteurs pour être les plus représentatifs possible. La pression de la population doit être plus ciblée et donc, plus efficace.
C’est-à-dire ?
Les slogans de type « Yetnahaw ga3 » ne sont pas des revendications politiques, celles-ci doivent être plus concrètes. Déjà, on peut réclamer une transition, de sortir de la solution constitutionnelle et aller vers une solution politique qui est la transition. Cela, le pouvoir politique ne va pas le faire volontairement, cela ne l’arrange pas. La classe politique doit être suffisamment forte pour montrer au pouvoir politique que la solution idéale est la transition pactée, en d’autres termes c’est le transfert progressif du pouvoir, justement pour éviter des radicalisations qui peuvent être dangereuses pour tout le monde.