Politique

« Le Hirak populaire s’est clairement exprimé contre la bipolarisation »

Louisa Ait Hamadouche est enseignante en sciences politiques à l’université d’Alger. Dans cet entretien, la politologue revient sur les appels d’activistes pour dépasser les clivages idéologiques au sein du Hirak.

Comment percevez-vous le fait que ces acteurs du Hirak se prononcent publiquement pour l’union malgré leurs différences idéologiques ou politiques ?

Les figures connues du Hirak sont intervenues dans le débat actuel pour montrer le fossé qui existe entre le Hirak version marches populaires, manifestations, actions de solidarité, slogans communs d’un côté, et le “Hirak des réseaux sociaux“.

Le Hirak populaire s’est clairement exprimé contre la bipolarisation pas seulement islamistes-conservateurs vs séculiers- progressistes, mais plutôt contre la bipolarisation amazigh-arabe.

Ce refus est franc, clair et ne souffre d’aucun doute sur le terrain des manifestations. Il exprime ce qu’on appelle depuis le début l’intelligence collective du Hirak.

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Ces appels à l’union et au dépassement des différences idéologiques interviennent au moment où des voix souvent hostiles au mouvement citoyen parient sur l’essoufflement du Hirak du fait de ces facteurs. Un signal fort de la part des Hirakistes ?

Les tentatives de diviser le Hirak n’ont pas commencé aujourd’hui. Elles ont plusieurs formes. À l’heure actuelle, je dirais que ces tentatives prennent trois voix.

La première est politique et consiste à diviser le Hirak en “bon” et “mauvais” Hirak. Clairement, le Hirak qui ne s’inscrit pas dans la feuille de route de “l’Algérie nouvelle” est celui qui est qualifié de dangereux, menaçant, manipulé, etc.

La deuxième tentative de division est idéologique, c’est elle qu’on observe depuis quelques semaines.

Enfin, le troisième est géographique à travers le recours à la répression ciblée, notamment les wilayas de l’Ouest. Le but étant de fractionner le Hirak, de le stopper localement et d’isoler les manifestants les uns des autres.

Les différences politiques traduisent-elles des avis irréconciliables ? Comment condenser toutes ces différences et en faire une force pour le changement ?

Les différences politiques sont tout à fait naturelles. Le Hirak réclame le droit à ces différences. Il faut distinguer entre les différences politiques et la fracture politique liée aux années 90.

Je pense que c’est de cela dont vous parlez. Il y a effectivement un gros décalage entre deux positions antagonistes sur cette période. Qui est responsable du déclenchement de ce conflit? Qui sont les coupables et qui sont les victimes ?

À mon sens, ces questions sont normales et légitimes pour la simple et bonne raison qu’on n’y a jamais apporté de réponses. Or, on ne peut empêcher une question d’être reposée qu’en y répondant.

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Ceci étant dit, le timing est tellement important qu’il détermine la qualité des réponses et leur effet apaisant ou « crisogène ». À mon sens, le contexte actuel n’est pas le bon timing.

Les conditions indispensables, qui doivent accompagner ce débat et protéger les débatteurs, ne sont pas du tout réunies. À mon sens, la question qui mérite une réponse urgente aujourd’hui est : que faut-il faire pour ne pas revenir à la situation des années 90 ?

L’un des éléments de réponse à cette question consiste à s’entendre sur une charte ou un pacte qui stipule noir sur blanc les règles de l’action politique. Le rejet et la condamnation absolue de la violence, la préservation du patrimoine commun par sa non-instrumentalisation politique (les langues, la religion, l’identité), l’établissement d’un État de droit garant des libertés individuelles et collectives…

Pour adhérer au Hirak, est-il obligatoire de laisser chez soi son idéologie ou sa différence ?

Pour “adhérer” au Hirak comme vous dites, il suffit de croire à l’objectif qu’il poursuit, à savoir un État de droit démocratique au moyen qu’il utilise, la ‘silmiya‘ (le pacifisme), et aux valeurs qui le portent : la fraternité, la solidarité et la justice.

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