Le jeu de tête au football affecte-t-il le cerveau et peut-il entraîner des maladies cérébrales comme la démence? C’est la question à laquelle tente de répondre le neuropathologiste britannique Willie Stewart en examinant la santé de milliers d’anciens footballeurs.
Les autorités footballistiques ont été accusées de traîner des pieds sur le sujet depuis la mort en 2002 de l’ancien international anglais Jeff Astle, dont le décès a été attribué à une maladie professionnelle. Récemment, l’ancien international anglais et capitaine de Newcastle Alan Shearer, connu pour son excellent jeu dans les airs, a remis le sujet sur le devant en évoquant ses craintes de développer une démence après avoir frappé le ballon de la tête pendant tant d’années.
L’homme chargé d’enquêter sur les liens entre jeu de tête et maladies cérébrales est le neuropathologiste Willie Stewart. Avec son équipe, il a entrepris de comparer les antécédents médicaux de 10.000 anciens footballeurs professionnels avec ceux de 30.000 personnes issues de la population générale.
Son étude, intitulée « les effets du football sur la santé et les risques de démence », est financée par la fédération anglaise et le syndicat des joueurs professionnels, avec l’objectif de récolter des données fiables sur ce sujet délicat.
C’est déjà Stewart qui avait examiné le cerveau de Jeff Astle et qui avait établi en 2014 que l’ancien joueur de West Bromwich Albion dans les années 60-70 était mort à 59 ans d’une encéphalopathie traumatique chronique (ETC) causée par des chocs à la tête. Mais il préfère rester prudent sur un possible lien avec le jeu de tête et préfère se référer à une base de données plus large tant le sujet suscite les fantasmes.
– « Anomalie statistique » –
Il cite ainsi l’exemple de trois anciens membres de l’équipe d’Angleterre championne du monde en 1966 qui ont développé la maladie d’Alzheimer: Martin Peters, 74 ans, ainsi que Ray Wilson et Nobby Stiles, tous deux décédés.
« Le problème, c’est que tout ce dont nous disposons, ce sont des anecdotes. Mais les anecdotes ne font pas la science », explique-t-il à l’AFP depuis l’hôpital universitaire Queen Elizabeth à Glasgow.
« Il est vrai qu’un bon nombre de joueurs de l’équipe de 1966 ont été atteints de démence », ajoute-t-il. « Mais il faudrait qu’on sache par exemple si d’autres équipes qui ont disputé le Mondial-66 présentent des taux de démence similaire. Ou est-ce que c’est juste une anomalie statistique? »
Selon lui, même la maladie de Jeff Astle n’était pas nécessairement causée par son jeu de tête, comme il est communément admis. « Je comprends pourquoi les gens pensent cela, car c’est visuel », poursuit Stewart. « C’est peut-être le cas mais il n’y a pas de lien direct prouvé. »
D’après lui, la blessure d’Astle a pu être causée par d’autres facteurs comme des chocs tête contre tête ou des coups de pied reçus à la tête au cours d’une carrière de joueur particulièrement rugueuse.
Le fait qu’il y ait un taux de démence apparemment plus élevé parmi les anciens footballeurs pourrait également être lié à d’autres facteurs.
« Oui, il semble que le taux de démence soit supérieur à la moyenne parmi les footballeurs, mais c’est aussi le football qui leur a permis d’avoir une vie plus saine et plus longue », détaille Stewart. « Ça leur a permis de vivre jusqu’à 70-80 ans alors que d’autres personnes meurent vers 60 ans et n’atteignent pas l’âge auquel on risque de développer une démence. »
– Cerveau au ralenti –
D’après Stewart, une étude menée auprès d’étudiants de la Stirling University en Écosse montre que frapper la balle de la tête a bien un effet sur le cerveau.
« On les a emmenés dans un laboratoire et on a utilisé une machine qui leur lance des balles dessus », explique-t-il. « On a fait ça 20 fois pour chaque étudiant et on a mesuré les fonctions cérébrales avant et après. On a constaté que l’activité électrique du cerveau et la mémoire avaient un peu ralenti (…) Ces effets ont duré 24 heures. »
Stewart a ainsi indiqué avec sarcasme qu’il ne recommanderait pas aux étudiants de frapper une balle de la tête la veille d’un examen, mais il souligne également qu’il est très difficile d’extrapoler ces résultats sur les effets à long terme.
Démontrant que l’instance s’intéressait au sujet, l’UEFA a commandé deux études différentes sur les effets du jeu de tête sur les jeunes.
Et d’après Stewart, les autorités du monde du football n’esquiverait pas la sujet s’il était prouvé que le jeu de tête avait un impact sur le cerveau. « Dans quelques années, s’il était établi que jouer de la tête était risqué, la Fifa et l’UEFA l’accepterait et dirait +OK, il faut changer+ pour que ces hommes et ces femmes puissent vivre une vie longue et heureuse après leur carrière. »