La scène se déroule au cimetière d’El Alia. Ce dimanche, tous les dirigeants de l’État, à l’exception du président Bouteflika et du général Gaïd Salah, sont présents pour assister à l’enterrement de Rédha Malek.
Saïd Boutefika et Ali Haddad sont ensemble. Inséparables depuis leur arrivée au cimetière, ils affichent ostensiblement leur proximité devant les caméras et les objectifs des photographes. Même les caméras de l’ENTV, habituellement discrètes sur les sorties publiques du frère du Président, ont insisté, cette fois, sur ces étonnants moments de complicité dans un cimetière. Les images ont fait l’ouverture du JT de 20 heures, une première sans doute pour Said Bouteflika.
L’argent et le pouvoir ensemble
Mais ce sont les images diffusées en fin de journée par El Bilad TV qui résument le mieux la journée. Ali Haddad et Saïd Bouteflika quittent ensemble le cimentière, entourés et protégés par des membres du protocole et de la protection rapprochée du Président. Arrivés devant la voiture de Saïd, les deux hommes s’embrassent. Ali Haddad s’apprête à partir rejoindre sa voiture mais Saïd Bouteflika insiste : il veut que Haddad monte avec lui dans sa voiture. Les deux hommes s’engouffrent dans la voiture de la présidence. Le pouvoir et l’argent quittent ensemble le cimetière d’El Alia.
Ce 30 juillet restera sans doute comme le jour où Saïd Bouteflika a enterré l’ambition – le rêve ?- de Abdelamdjid Tebboune de séparer l’argent et le pouvoir. C’est un camouflet pour le Premier ministre qui, quinze jours plus tôt, provoquait une crise sans précédent avec le patronat et l’UGTA en refusant que Ali Haddad soit au premier rang à l’École supérieure de la sécurité sociale d’Alger. Symboliquement, Tebboune qui s’était engagé devant les députés à séparer l’argent et la politique, ne voulait pas s’afficher avec Haddad, ont expliqué par la suite ses proches.
Avant l’incroyable mise en scène du cimetière d’El Alia, Ali Haddad a été reçu, dimanche matin, au Palais du gouvernement, en compagnie d’autres patrons et du chef de l’UGTA. Ils se sont réunis avec Abdelmadjid Tebboune qui leur a dit tout le bien qu’il pense des chefs d’entreprises, les « seuls » qui créent de la richesse…
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L’humiliation de trop ?
Aujourd’hui, le Premier ministre a été désavoué par le frère et le conseiller du Président. Saïd envoie un message clair à l’opinion publique, à la classe politique et aux observateurs : l’argent et le pouvoir sont indissociables.
Pourtant, en l’espace de quelques jours, le slogan phare de Tebboune « Séparer l’argent du pouvoir » a nourri quelques espoirs. Des partis de l’opposition y ont cru. Des acteurs économiques s’apprêtaient à se positionner. Dans la rue, le conflit entre Tebboune et Haddad est sur toutes les lèvres. Sur les réseaux sociaux, « le peuple avec Tebboune ». Avant que l’épisode de la réunion au Palais du gouvernement ne vienne mettre fin aux espoirs et rappelé brutalement une réalité : l’Algérie est dirigée selon des règles non-écrites.
Question : que se passe réellement au sommet de l’État ? L’Algérie est-elle dirigée par un seul pouvoir ? Dans le dossier Haddad, le Premier ministre n’a pu agir seul. Ce dernier, comme l’a révélé une source à TSA, a été reçu par le Président, lequel lui a donné des instructions fermes pour prendre des mesures contre ceux qui « trichent ». Cette instruction a été « annulée » sans préavis de ce même pouvoir, en tout cas par une personne qui symbolise le pouvoir. C’est un scénario inédit.
Saïd sort définitivement de l’ombre
Mais il y a plus grave. Certes, ce n’est pas la première fois que le pouvoir recule sur un dossier important. Mais la méthode interpelle par brutalité. Tebboune a été humilié aujourd’hui au cimetière d’El Alia. Les trois alliés du jour, Ali Haddad, Saïd Bouteflika et Abdelmadjid Sidi Saïd, donnaient l’impression d’assister à une fête et non à un enterrement. Sur une photo largement partagée sur les réseaux sociaux, on peut voir Saïd Bouteflika fixer Tebboune de manière peu appropriée.
Au lendemain de cette mise en scène, une question se pose : que reste-t-il à Tebboune ? L’autorité du Premier ministre est sérieusement remise en cause à un moment où il a le plus besoin de l’affirmer. Il sort sérieusement affaibli vis-à-vis de l’opinion publique, de ses ministres, de ses interlocuteurs étrangers. Les mois qui lui restent au Palais du gouvernement risquent de ressembler à un véritable enfer.
L’autre question que tout le monde se pose ce lundi matin : que cherche Saïd Bouteflika ? Nul n’ignore la place et l’influence du frère cadet du chef de l’État. Il est l’unique homme de confiance du Président, son conseiller personnel. Avec la maladie de Bouteflika, certains n’hésitent pas à le désigner comme le véritable homme fort du pouvoir en Algérie.
Un statut qu’il semble assumer publiquement et sans complexe aujourd’hui, à moins de deux ans des élections présidentielles. Hier, pour la première fois, il est apparu à l’ouverture du journal de 20 heures de l’ENTV. Il vient de sortir définitivement de l’ombre.