Une semaine après la démission surprise du premier ministre libanais Saad Hariri, l’escalade verbale se poursuit entre l’Arabie saoudite et le Liban. Vendredi, tandis que le président libanais, Michel Aoun, a demandé à ce que l’ex-chef de gouvernement rentre dans son pays, le chef du Hezbollah chiite libanais, Hassan Nasrallah, a accusé Riyad d’avoir déclaré la guerre au Liban et à son mouvement. En outre, il estime que Saad Hariri est détenu contre sa volonté.
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La veille, l’Arabie saoudite a appelé ses ressortissants à ne pas se rendre au Liban et conseillé à ceux qui s’y trouvent d’en partir « dès que possible ». Dans la foulée, les Émirats arabes unis et le Koweït -tous deux alliés du royaume- ont également demandé à leurs ressortissants d’éviter le pays du Cèdre. Bref, la méthode n’est pas nouvelle : elle vise à multiplier les pressions sur Beyrouth en l’asphyxiant économiquement. En mars 2016, Riyad avait annoncé l’interruption de l’aide de trois milliards de dollars à l’armée libanaise décidée en 2014, avant de la rétablir début 2017.
La Syrie redevient un acteur régional
En quelques jours à peine, le Liban se retrouve sur le devant de la scène, en proie à un possible nouveau conflit. Un scénario déjà anticipé par certains observateurs chevronnés à l’instar de Joseph Bahout, chercheur invité du Think Thank Carnegie à Washington. Dans un article intitulé « Dans l’oeil du cyclone » publié mi-octobre, le spécialiste du Moyen-Orient expliquait que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis cherchaient désormais « des moyens pour compenser leur perte de la Syrie, terrain où ils pouvaient défier et saigner l’Iran ». Leur désir de revanche « pourrait les amener à tenter de reprendre pied au Liban », écrivait Joseph Bahout.
Il faut d’ailleurs s’arrêter sur le calendrier pour expliquer les événements des derniers jours. Vendredi 3 novembre, l’armée syrienne, aidée par ses alliés russes, iraniens et du Hezbollah libanais, annonce avoir repris le contrôle de Deir ez-Zor, dernière grande ville contrôlée par Daech, dans le pays. Le lendemain, le premier ministre libanais Saad Hariri, proche de l’Arabie saoudite, annonce depuis Riyad sa soudaine démission.
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Ces deux faits doivent évidemment être mis en relation. Car, cette victoire de l’armée syrienne signe le retour de Damas sur la scène régionale et, de fait, son regain d’influence au Liban (le Hezbollah chiite libanais est un allié clé de la Syrie). Une situation qui inquiète Riyad, voyant dans cette annonce un point marqué par l’Iran, son ennemi juré dans la région. Bref, cela justifierait l’intensification des pressions sur Beyrouth ces derniers jours pour que le Hezbollah soit chassé.
Paris veut jouer les médiateurs pour éviter une nouvelle crise
Ce contexte suscite de vives inquiétudes au sein de la communauté internationale dont les annonces semblent toutefois difficiles à cerner. Pour la France, il ne faut en effet ni vexer Riyad qui est un allié, ni compromettre la sécurité au Liban. Officiellement donc, Paris assure, par la voix de son chef de la diplomatie Jean-Yves Le Drian que l’ex-Premier ministre libanais, actuellement en Arabie saoudite, est « libre de ses mouvements ».
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Mais en coulisses, les tractations s’intensifient. Le Quai d’Orsay a indiqué vendredi dans un communiqué que François Gouyette, l’ambassadeur de France en Arabie saoudite, avait rendu visite à M. Saad Hariri. De plus, selon les informations de Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro, « le conseiller Moyen-Orient du chef de l’État, Aurélien Le Chevalier, a été dépêché à Beyrouth pour évoquer l’avenir du camp Hariri ». Une information confirmée par l’Élysée qui affirme toutefois que « cette visite était prévue de longue date », écrit le journaliste français. À Paris aussi, les rencontres se multiplient. Le grand reporter Christian Chesnot de France Inter indique que le général Abbas Ibrahim, chef de la sécurité libanaise, se trouve à Paris. « Sans doute pour évoquer le cas de Saad Hariri », écrit-il sur son compte Twitter.
Flou américain
Si Paris a compris qu’il ne fallait pas choisir de camp dans cette situation, la ligne adoptée par les États-Unis sur le dossier est quant à elle assez périlleuse.
Le président américain Donald Trump a accordé tout son soutien à son allié saoudien (sans toutefois dire un mot sur l’escalade de tensions entre Riyad et Beyrouth) tandis que Rex Tillerson, le chef de la diplomatie américaine, a mis en garde contre toute utilisation du Liban « comme théâtre de conflits par procuration ».
« Les États-Unis exhortent toutes les parties, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du Liban, à respecter l’intégrité et l’indépendance des institutions nationales légitimes du Liban, y compris le gouvernement et les forces armées. À cet égard, nous respectons le premier ministre libanais Saad Hariri en tant que partenaire solide des États-Unis », écrit-il dans un communiqué diffusé vendredi.
D’ordinaire plus prolixe, le mutisme de Donald Trump ces derniers jours étonne. Celui qui a choisi de défendre une position jusqu’au-boutiste face à l’Iran -et de faire pleinement confiance à Riyad- pourrait avoir à gérer dans les prochains jours un nouveau séisme au Moyen-Orient. Car, si, au mieux, le Liban s’oriente vers une instabilité politique, il pourrait aussi devenir le théâtre d’une nouvelle guerre, entre l’Arabie saoudite et l’Iran.